Les chroniques de la Grande Guerre : l'année 1915

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Titre
Les chroniques de la Grande Guerre : l'année 1915
TItre
Janvier 1915
Corps

En ce début de janvier 1915, deux événements importants se déroulent en France et dans notre région :
La première transfusion sanguine réussie par poche date du 27 mars 1914. Le 4 janvier 1915, la presse annonce que deux blessés ont été transfusés avec succès dans la ville normande de Saint-Lô. De nombreux progrès en médecine seront entrepris au cours de la Grande guerre.
Le percement du tunnel du Puymorens est achevé le 1er janvier 1915. Les Pyrénées sont franchies entre le village ariégeois, l’Hospitalet-près l’Andorre et celui de Porta dans les Pyrénées-Orientales. Les aménagements et équipements seront les prochains travaux à effectuer pour que les trains puissent circuler.

Entrée du tunnel du Puymorens par l’Hospitalet-près-l’Andorre dans l’Ariège.
Entrée du tunnel du Puymorens par l’Hospitalet-près-l’Andorre dans l’Ariège, © www.cparama.com

Enfin, en raison de la guerre, l’Élysée annonce que les traditionnelles réceptions du 1er janvier des délégations civiles et militaires n’auront pas lieu. Cette décision est appliquée dans les différents ministères et dans l'ensemble des départements du pays. Les préfets, les présidents de tribunaux locaux, les maires des principales villes annoncent à leur tour qu’ils ne recevront pas pour les vœux de début d’année. Le préfet de l’Aude exprime le désir de ne pas recevoir de cartes de visite "de façon à ne pas surcharger inutilement le service des postes".

Agriculture
Après les semailles d’automne, les autorités demandent de cultiver en priorité du blé, de l’avoine et de l’orge sur une plus grande étendue de terre car il faut éviter le coût des importations. Aussi, le ministre de l’Agriculture, Alexandre Millerand, accorde-t-il des permissions aux hommes des dépôts territoriaux pour les semailles, la taille de la vigne et les divers travaux des champs (deux séries de 13 jours).

Par ailleurs, son ministère annonce le 23 janvier la suppression du Concours général de Paris et des concours spéciaux ainsi que de toutes les subventions destinées aux autres concours et manifestations diverses pendant la durée des hostilités. Il décide aussi la suspension jusqu’au 30 avril 1915 des baux des fermiers et métayers mobilisés.

Réquisitions
Les réquisitions se poursuivent et le 14 janvier le ministre de la Guerre demande de l'avoine au seul département du Gers. Pour les chevaux et les juments de 4 ans et plus, réquisitionnés, l'autorité militaire impose comme à Montauban, que chaque animal ait une ferrure en bon état et soit muni d’un bridon et d’un licol, pourvu aussi d’une longe.

Les réquisitions portent aussi sur les légumes secs et les négociants se plaignent de ne pas être payés pour les quantités qu’ils ont livrées au début de novembre.

Vie quotidienne
La hausse des prix des matières premières due au conflit entraîne des augmentations des coûts de produits. Le syndicat des maréchaux-ferrants et forgerons annonce qu’il augmente ses tarifs à partir du 1er janvier 1915 et à Albi, les laitiers demandent le 29 janvier au maire de relever le prix du lait.

Dans le Gers, les producteurs d’Armagnac constatent les mauvaises ventes et dénoncent l’effondrement des cours : de 6 à 7 F en 1914, le degré barrique passe à 3 F en janvier 1915.

Les Toulousains se plaignent de la quantité insuffisante de pain, base de l’alimentation. Les boulangers de la ville sont eux, mécontents du prix qu'ils jugent insuffisant auquel ils vendent le pain. Ils dénoncent le coût des matières premières qui a augmenté : ils paient plus cher le bois, la farine et le transport des produits ainsi que la main-d’œuvre devenue rare. Aussi, ils font moins de pain et demandent aux autorités locales de relever son prix. La municipalité de Moissac refuse, et le prix reste, pour le pain de ménage à 0,35 F le kg, le pain blanc à 0,43 F le kg et le pain bis à 0,34 F, prix habituellement relevés sur la région. Celle de Montauban impose de plus que tous les pains vendus entiers ou fractionnés soient pesés avant d’être livrés. L’administration préfectorale annonce qu’il n’y a pourtant pas de pénurie de farine et que le problème est seulement localisé à Toulouse. Mais les récoltes de blé en France ont été de 92 000 000 quintaux en 1914 et les besoins annuels étant estimés à 94 000 000 quintaux, il faut faire appel aux importations. La farine manque bien et les plaintes émanent d’autres villes de la région. Aussi, parce que ce problème est grave, les autorités militaires donnent le 28 janvier des sursis aux boulangers "dans les cas tout à fait exceptionnels".

La population régionale rencontre d'autres problèmes : le 17 janvier les habitants des quartiers de Toulouse se plaignent de manquer d’eau à partir de 22 h. Les agents mobilisés n’ont pas été remplacés malgré l'annonce d’embauche au service des eaux de deux chauffeurs-conducteurs qui toucheront 4,50 F par jour de salaire.

À Foix, malgré le changement de société d’éclairage, la population proteste toujours contre la mauvaise qualité du gaz.

Les habitants dénoncent également les lenteurs du courrier car "le personnel est tellement réduit que le courrier et les journaux arrivent de plus en plus en retard". Afin d'améliorer la qualité du service de cette administration, ils demandent aux P. T. T. d’embaucher des chômeurs dont le nombre grossira avec les gardes-voies que la ville de Moissac décide de supprimer le 28 janvier.

Les hommes étant mobilisés, les femmes travaillent de plus en plus dans les usines. Elles sont moins bien payées que ceux qu’elles remplacent. Parce qu’elles sont peu ou pas formées, peu encadrées, trois ouvrières qui travaillent à l’arsenal à Tarbes sont montées, le 12 janvier sur un tas de copeaux métalliques et ont été électrocutées.

Le manque de médecins devient également dramatique. En désespoir, le 18 janvier, la municipalité de Condom lance un appel pressant aux "docteurs-médecins français ou belges pouvant donner des soins pendant la guerre à une population de 8 000 habitants".

Localement, dans son combat contre l’alcoolisme, l’administration ferme pour un mois, un établissement de la ville de Toulouse qui a vendu de l’absinthe et le préfet, par mesure d'hygiène, demande le 5 janvier aux propriétaires d’écheniller les arbres, haies ou buissons.

Janvier est le mois des gâteaux des Rois. Monsieur Valette pâtissier à Gaillac, annonce qu’il mettra dans un de ses gâteaux, à partir du 5 janvier, une pièce de cinq francs or. Quelques jours plus tard, monsieur Loubat, juge d’instruction trouve cette belle pièce dans un gâteau qu’il a acheté au pâtissier.

Janvier est également le mois au cours duquel les maires dressent les listes d’assistance aux vieillards, infirmes ou incurables. Les listes sont déposées au secrétariat de la mairie par le conseil municipal en vue de récolter les observations de chacun.

C’est aussi le mois des bilans de fin d'année et des statistiques : l’état-civil est tenu par les communes mais les 18 paroisses toulousaines indiquent qu’en 1914 il y a eu 1 763 baptêmes, 635 mariages et 2 535 sépultures soit 137 naissances et 298 mariages de moins qu’en 1913 et 209 décès en plus.

Les foires qui se tiennent en janvier pâtissent en 1915 des réquisitions, du conflit et du mauvais temps qui sévit. Le 9 janvier, le monde est présent mais les échanges sont peu nombreux à celle "des Rois" de Gaillac, À la foire du 22 janvier qui s’est déroulée sous une épaisse couche de neige, les prix sont en hausse sensible. Les œufs sont à 1,50 F la douzaine, les poules à 0,85 F, le blé à 25 F l’hectolitre, les pommes de terre à 5 F et les cours sont toujours élevés sur les bœufs de travail et les chevaux. La gare de cette ville a expédié 104 wagons de bestiaux alors que l’année précédente il y en avait 125.

Dans la commune d'Albi, le maire rappelle le 4 janvier que la vitesse des automobiles dans la ville ne peut excéder 12 km/h. Elle doit être "ramenée à celle d’un homme marchand au pas aux endroits où la circulation est active dans les passages étroits et les tournants des rues". Elle est interdite de 21 h à 4 h.

Fin janvier, en raison des événements, la mairie de Toulouse interdit aux personnes de se masquer ou de se travestir le jour de Mardi-Gras et le préfet de l’Ariège face au nombre important de dénonciations reçues par ses services, informe à son tour que seules sont lues et prises en considérations celles signées par leurs auteurs ou portant l’identité de l’envoyeur.

Sport et spectacle
Chaque début d’année, les contribuables sont informés des montants des taxes ou des nouveaux prélèvements. Les propriétaires de cercles de jeu apprennent le montant de leur contribution et ceux qui possèdent des salles à billards doivent en faire la déclaration.

Le sport fait l’objet de toutes les attentions : grâce à lui, les hommes sont formés au goût de l’effort, à l’esprit d’équipe, valeurs recherchées par les autorités militaires. Les soldats du 76e régiment d’infanterie forment une équipe de football rugby qui s’entraîne avec l’équipe du collège de Villefranche-de-Rouergue et le 24 janvier est organisé à Toulouse dans le cadre de la coupe de France, un cross-country qui débute à 9 h aux Ponts-Jumeaux.

Au théâtre Caton à Tarbes, le programme du dimanche 3 janvier est alléchant avec la représentation d’Aïda. L'objectif est de réserver une part importante de la recette aux hôpitaux de la ville. À Toulouse, le théâtre du Capitole présente le 23 janvier la tragédie Roméo et Juliette.

Quelques jours plus tard, le 27 janvier, le célèbre tableau de Jean-Paul Laurens "L’agitateur du Languedoc" est installé au musée des Augustins. La toile appartenait à monsieur Paul Bories qui l’avait acquise du maître à condition qu’à sa mort elle soit de retour à Toulouse. Ce tableau évoque la répression menée contre les Cathares.

« L’agitateur du Languedoc »
« L’agitateur du Languedoc » : Le moine franciscain Bernard Délicieux représenté sur la toile est à la tête de la contestation dirigée contre les inquisiteurs, © Musée des Augustins, mairie de Toulouse

Nos soldats
Les soldats de la classe 1915 avaient demandé lors de leur passage en conseil de révision, de se présenter au baccalauréat avant de partir au front. Le 13 janvier, l’université de Toulouse annonce une session extraordinaire du baccalauréat avant le départ de la classe 1916.

Les soldats les plus vieux, ceux des classes 1887 et 1888, doivent être libérés de leurs obligations militaires et renvoyés dans leurs foyers. Mais cette mesure est limitée aux seuls hommes des services auxiliaires car l'armée veut garder ceux qui exercent des professions spéciales utilisables pour ses besoins.

Les militaires, nombreux aux dépôts – les villes sont toutes concernées -, ne peuvent fréquenter les débits de boissons locaux que de 17 à 21 h ce qui mécontente vivement les tenanciers.

Dans les dépôts, les instructeurs changeront d'affectation. Ils partiront pour le front et seront remplacés par des sous-officiers revenant du feu, "plus qualifiés pour donner aux recrues les connaissances pratiques nécessaires en campagne". Les nouveaux instructeurs enseigneront probablement le langage des tranchées déjà rapporté par les blessés : un "cure-dents" est la baïonnette (elle sera appelée aussi "Rosalie"), un adjudant est le "juteux", et le "doublard" est le double liseré porté sur chacune de ses manches. Un "nougat" est un fusil et le "pruneau" ce qui en sort.

Nos blessés et nos prisonniers
Les trains déversent toujours de nombreux blessés, le 3 janvier à Montauban, le 10 dans l’Ariège, le 25 à Revel. Les blessés sont encore tellement nombreux qu’un nouvel hôpital militaire est ouvert le 13 janvier à l’Institut catholique de Toulouse.

Le 20 janvier, monsieur Vianes, l'ancien secrétaire général de l’Ariège alors consul général de France à Monaco, établit la liste des blessés ariégeois soignés à Monte-Carlo et l'envoie au département.

Les listes de nos prisonniers en Allemagne sont toujours publiées et le 16 janvier paraît l’information concernant "l'échange de prisonniers définitivement invalides (homme pour homme)" entre la France et l'Allemagne. La Suisse via Genève propose ses services pour mener cet échange à bien.

Nos morts
Face à l’afflux de soldats morts, les obsèques sont de plus en plus fréquentes localement. Par exemple, la commune de Tournecoupe dans le Gers se réunit le 19 janvier pour la neuvième fois depuis le début de la guerre et la population se retrouve à l’église puis au cimetière pour accompagner le corps de ce soldat.

Les familles sont toutes touchées même celle du chef du gouvernement : le fils cadet de monsieur Viviani est mort le 22 août 1914 et l'information paraît dans la presse au début du mois de janvier 1915.

Quatre soldats au moins se sont donnés la mort en janvier, deux à Toulouse, un à Rodez et un dernier, un réserviste, à Puycelci. Ce chiffre paraît important car ces suicides sont déclarés comme tels.

Les soldats morts, la mémoire de certains combattants est honorée. À Foix, la rue où est né Paul Delpech mort au champ d’honneur est baptisée en cette fin de janvier "rue du lieutenant Paul Delpech". Il est le fils de l’ancien sénateur de l’Ariège.

Conseils de révision
Le gouvernement a décidé que les conseils de révision de la classe 1916 débuteront le 13 janvier et devront être terminés le 27 février. Aussi, paraissent les dates auxquelles les conseils se dérouleront dans les cantons des départements. Dans celui de Villefranche–de-Rouergue, 115 conscrits doivent être examinés, 78 seront déclarés bons pour le service, 3 seront versés dans les services auxiliaires, 2 seront exemptés et 28 ajournés, 4 étant des engagés volontaires. Suivant la tradition, les jeunes gens de 18 ans montrent toute la journée un joyeux entrain et parcourent les rues en chantant "prouvant ainsi qu’ils rempliraient avec courage et fierté leur devoir envers la Patrie". L’armée a, depuis le 1er janvier 1913, formé cinq classes (1912, 1913, 1914, 1915 et 1916) ce qui est alors unique dans l’histoire militaire française.

Conseils de guerre
Les conseils de guerre se réunissent souvent et en janvier, jugent les outrages envers un supérieur, les abandons de poste, les désertions, les vols, même les injures envers des particuliers, ceux appartenant par exemple au personnel d’un hôpital mixte de Cahors. Comparait également un industriel français accusé de tentative de corruption. Il avait approché un fonctionnaire pour avoir les prix de ses concurrents au sujet d’une affaire le mettant en compétition avec eux.

Le 9 janvier, le coutelier-armurier-mécanicien A. Gaffié fait paraître une publicité vantant les qualités d'équipements de protection du soldat, le casque Gaffié qu’il commercialise. Mais à la fin du mois, la presse dénonce des "mercantis peu scrupuleux [qui] vendent des appareils ou objets destinés - prétendent-ils – à préserver nos braves des balles ennemies, du froid…L’emploi de cuirasses individuelles est inefficace car elles sont trop faibles". L’inventeur d’un plastron pare-balle a été inculpé d’escroquerie par le parquet de la Seine.

Publicité du casque Gaffié parue le 9 janvier 1915 dans le « Mémorial de Gaillac »
Publicité du casque Gaffié parue le 9 janvier 1915 dans le « Mémorial de Gaillac », © Archives municipales de Gaillac (81)

Les "mauvais français "
Le manque de "petite monnaie" s’explique selon les autorités, par l’attitude des "gens surtout dans les campagnes [qui] échangent les billets contre les pièces blanches qu’ils enterrent dans des cachettes profondes et qui disparaissent totalement de la circulation". Ils font acte de "mauvais Français".

Tout comme ce soldat : réserviste de la classe 1901, il s’est évadé des locaux disciplinaires du dépôt de Lavaur et est activement recherché par la gendarmerie pour vol de vêtements civils dans une maison et par l’armée pour désertion.

Bonnes œuvres
L'activité des œuvres caritatives est toujours grande dans la quête de dons et les secours et les longues listes de donateurs prennent beaucoup de place dans les journaux.

Malgré une production de vins dans le Tarn-et-Garonne moins importante qu’en 1913 (381 425 hl en 1913 et 377 432 hl l’année suivante), les propriétaires du département proposent gracieusement une partie de leur récolte à l’armée.

La soirée "extraordinaire" du 15 janvier aux Nouveautés à Toulouse est organisée au profit des soldats du front. Les paquets qui leur sont envoyés, les aides aux prisonniers nécessiteux et aux réfugiés sont autant d’opérations portées par les nombreux bénévoles très actifs. Surtout qu'il faut répondre aux demandes toujours pressantes des officiers en vêtements chauds, "fortes chaussures" (tailles 41 à 47) et souliers galoches.

La "cigarette des blessés" est l’opération qui consiste à recueillir dans des boîtes situées dans les tabacs et passages fréquentés, des cigarettes. Du 17 novembre au 8 janvier, 223 paquets de tabac, 201 paquets de cigarettes, 2 119 cigarettes, 474 cigares, 1 284 cahiers de papier, 19 boites d’allumettes, 42,25 F en espèce, 10 billes de chocolat, 7 pipes, 2 pochettes de papier à lettres, 1 paquet de pastilles, 16 cartes postales, 1 porte-monnaie, 1 jeu de cartes, 1 porte-cigares, 2 étuis à cigares, 1 passe-montagne ont été recueillis dans ces boîtes.

Le 26 janvier, le journal l’Express du Midi annonce qu’il a récolté et envoyé depuis trois mois, en dons en nature et espèce plus de 70 000 F.

Ces initiatives aident beaucoup les municipalités dans leurs politiques sociales en ce début d’année. Comme de nombreuses autres, celle de Villefranche-de-Rouergue passe des contrats par adjudications pour les fournitures de viande, vin, pain, lait, objets de vêture et couchage, comestible et épicerie et légumes secs... à l’hospice et au bureau de bienfaisance de la ville.

Mais nombre de familles réclament les allocations auxquelles elles pensent avoir droit. Les autorités rappellent que les aides sont dues à celles qui ne peuvent assurer leur subsistance à cause de l’absence des mobilisés et qu'elles sont fixées à 1,25 F par jour par adulte plus 0,50 F pour chaque enfant de moins de 16 ans.

Enfin, le 30 janvier 1915, la "journée du 75" du nom du célèbre canon de 75 utilisé par l'armée française est annoncée pour le dimanche 7 février suivant. Son but est de fournir à tous les soldats du front un paquetage individuel composé d’un imperméable, des effets de laine, caleçons, mouchoirs, gants, chaussons de tranchées, de cartes postales militaires, de crayons, d’un tube d’iode, de tabac, pipe, briquet, lacets de chaussures, ficelle, bougies, savons. Cette journée est organisée par l’Œuvre des soldats au front créée par le Touring-Club de France. Des quêteurs, "en échange d’un insigne représentatif de notre merveilleux canon" recevront l’obole des passants.

Les réfugiés
La ville d’Auch organise le 2 janvier les étrennes des 300 enfants de réfugiés. Les jouets et effets divers offerts par les États-Unis sont alors donnés. Le lendemain, l’arbre de Noël des petits Belges est organisé à Toulouse.

Le financement de telles opérations est rendu possible grâce aux représentations et quêtes diverses. Le 27 janvier, un concert est donné au profit des réfugiés et le 28 janvier, la vente du "Drapeau belge" a bien rapporté.

Malheureusement, le préfet de l’Ariège est obligé de prendre des mesures de rigueur contre certains réfugiés : ceux qui quittent sans autorisation la commune dans laquelle ils sont assignés ou ceux qui refusent du travail, ceux qui s’adonnent à la boisson ou se montrent grossiers envers leurs hôtes seront internés à la prison du château de Foix. Il rappelle que tout secours en argent ou en nature sera supprimé aux réfugiés refusant de travailler. Enfin, parce que certains se livrent à la mendicité à domicile, le préfet rappelle que chaque réfugié a la subsistance et le logement assurés et aucun d’eux ne peut solliciter d'aumônes.

Nos ennemis
Quatre prisonniers allemands se sont évadés de la caserne d’Auch le 3 janvier. Le lendemain, trois seront retrouvés, le quatrième les jours suivants. En revanche, leurs employeurs jugent exemplaire le comportement de ceux qui construisent la ligne de chemin de fer reliant Auch à Lannemezan.

Prisonniers allemands sur la ligne d’Auch à Lannemezan.
Prisonniers allemands sur la ligne d’Auch à Lannemezan, © Archives départementales du Gers, cote 6Fi320131296

Les étrangers sont toujours sous grande surveillance et les mises sous séquestres de biens allemands sont pratiquées : les mines de manganèse et d’antimoine des communes de Portet et de Poubeau (Haute-Garonne) sont mises sous séquestre le 8 janvier car elles appartiennent à monsieur Flechter de Düsseldorff (Allemagne).

Le 11 janvier, des "indésirables qui portent des noms à consonance germanique" et qui vivent dans une roulotte sont arrêtés.

Affaire Desclaux
Le 28 janvier 1915 éclate l'affaire François-Antoine Desclaux qui était l’ancien chef de cabinet du président du Conseil, Joseph Caillaux. Devenu en 1914 payeur principal de 2e classe aux armées, il est arrêté car il est soupçonné de détournement de fonds publics. Il est inculpé de vol et de détournement de fournitures militaires. Le "scandale Desclaux" débute.

TItre
Février 1915
Corps

En février 1915, les discussions au Parlement français portent sur l’interdiction de l’absinthe et sur la création d’une médaille qui doit récompenser les actes de bravoure des Poilus. Il existe bien la Légion d’honneur ou la médaille militaire mais elles sont données à titre exceptionnel. La nouvelle médaille prendra le nom de Croix de guerre, "un nom bref qui sonne clairement et qui, à lui seul, exclut la faveur de l'ancienneté" selon Émile Driant lors de sa présentation devant les parlementaires le 5 février.
Février est également le mois de "l’affaire Desclaux".

Affaire Desclaux
Révélée à la fin du mois de janvier, "l’affaire Desclaux", du nom du trésorier payeur du 18e corps d’armée, va alimenter la chronique durant le mois de février. Âgé de 51 ans, officier de la Légion d’honneur, il est inculpé de vol et de détournements de fournitures militaires. Le larcin est composé de denrées alimentaires mais aussi de munitions et d’armes saisies le 7 février à son domicile, rue Brunel à Paris. Les enquêteurs révèlent qu’il "y avait une voiture-automobile et de nombreux trophées de guerre : lances, fusils, carabines, casques, etc… appartenant à l’État". La bénéficiaire de ce trafic est madame Bechoff grande couturière de la place Vendôme à Paris à qui l’amant payeur faisait apporter une partie des produits volés. La défense de monsieur Desclaux se résume à la déclaration suivante : "J'envoyais à Mme Bechoff le surplus de mes rations, et n'ai pas commis de détournements". Trois autres personnes sont également inculpées notamment le convoyeur des Postes qui aurait, malgré lui, participé à l’opération. Le conseil de guerre qui doit juger l’affaire en février est repoussé au mois de mars.

Affaire Desclaux : les inculpés dans le box, agence Meurisse.
Affaire Desclaux : les inculpés dans le box, agence Meurisse, © Gallica.bnf.fr.

Agriculture
L’agriculture est essentielle au pays et à l’armée. Les services agricoles départementaux demandent donc à tous les agriculteurs de cultiver toutes les parcelles de terre même les plus petites. Ils préconisent aussi l’utilisation de machines plus performantes. Par exemple, le sulfatage de la vigne à l’aide de pulvérisateurs portables à dos d’hommes doit être remplacé par des pulvérisations à bât c’est-à-dire à l’aide d’appareils de grande contenance portés par des animaux.

À Montauban, les réfugiés sont mis à contribution car ils savent cultiver la betterave. On compte sur eux au printemps prochain pour le brisage et le démariage de cette plante. Ils seront payés 85 F l’hectare.

Réquisitions
Le 2 février, le conseiller général de Sauveterre, Gaston Roques, proteste au sujet des réquisitions. Il dénonce les prélèvements importants effectués par l’armée. Le nombre d’animaux de boucherie demandé est trop élevé et les quantités de céréales aussi. Il remet en cause les statistiques à partir desquelles sont décidées les quantités prélevées. Elles seraient fausses car, selon lui, les agents reprendraient les chiffres des années précédentes sans les contrôler.

Le 7 février les tombereaux et les harnachements sont réquisitionnés dans la région ainsi que trois jours plus tard, les chevaux à Toulouse. Mais les propriétaires réticents, de plus en plus nombreux, n’amènent pas leurs chevaux et juments à la Commission de réquisition. Si dans un premier temps, les autorités choisissent l’apaisement et organisent une séance supplémentaire, elles décident ensuite que tout propriétaire d’un animal circulant sur la voie publique devra présenter une pièce constatant que l’animal est passé devant la Commission de réquisition. L’amende encourue est égale à la moitié de la valeur de l’animal. À Montauban, le 18 février, 15 chevaux réformés sont mis en vente à la caserne du 10e régiment de dragons.

Vie quotidienne
Comme en janvier, les plaintes concernant le poids du pain et les problèmes d’approvisionnement affluent en février à Toulouse, Auch, Tarbes… Le préfet du Tarn-et-Garonne, en raison de la hausse constante du prix du blé et de la rareté des offres, demande aux municipalités d’évaluer la quantité de blé disponible et d’indiquer les personnes qui pourraient en fournir. Il les invite ensuite à réviser la taxe sur le pain "aussi souvent que les fluctuations des cours l’exigeront". Le prix du pain bis demeure en moyenne à 0,36 F le kilo dans l’Aveyron, à 0,38 F à Gaillac "prix jugé raisonnable" par la municipalité. Mais face aux augmentations de matières premières, le maire de Toulouse, Jean Rieux, décide, le 8 février, de passer de 0,90 F à 1 F la boule de 2 kilogrammes. La municipalité de Revel demande aux boulangers de faire suffisamment cuire les pains, d’afficher leurs prix et de les peser avant de les vendre. En réaction, certains professionnels appellent à la grève le 26 février, mais en vain.

L’Assemblée Nationale poursuit ses travaux dans la lutte contre l’alcoolisme et des instructions sont données localement. À Toulouse, le 1er février, un débit de boissons ouvert illégalement, est fermé administrativement par la préfecture de la Haute-Garonne. Le lendemain, le préfet de l’Ariège décide que les cafés, cabarets et débits de boissons du département fermeront dorénavant à 22 h. 

Au début du mois, les fumeurs rencontrent des problèmes pour s’approvisionner en tabac de petits paquets à 0,50 F. La loi obligeant les buralistes à commander autant de gros paquets d’une livre que de petits paquets, ces commerçants doivent consentir de grosses avances. Comme les paquets d’une livre se vendent mal, les buralistes limitent leurs commandes. Aussi, la population demande en vain aux autorités de supprimer cette obligation.

Les producteurs d’eau de vie du Gers protestent contre la mévente de leur alcool. Le lait étant souvent coupé avec de l’eau, les menaces de contrôles municipaux sont fréquemment annoncées dans la presse. Les charbonniers de la ville de Castres sont également dénoncés car ils trompent leurs clients sur le poids de charbon vendu. C’est encore la mauvaise qualité du gaz qui rend moins performants les appareils de chauffage.

Administration communale
À Montauban, le 2 février, lors du conseil municipal un conseiller "constate qu’avec un nombre moins important d’agents, le service de l’octroi peut fonctionner donc [il] en prend note pour l’avenir".

Même avec peu de moyens, les communes doivent fonctionner et veiller à l’essentiel. Dans le cadre de mesures sanitaires, le maire de Rodez ordonne le nettoyage de tous les cabinets, cours, venelles, écuries, remises des hôtels et auberges, la cuisson de tous les légumes et l’usage quotidien de boîtes à balayures. Il interdit tout dépôt sur la voie publique de voitures, brouettes, barriques…

Au cours du mois de février, les agents municipaux de Gaillac ont l’obligation de contrôler si les fours et les cheminées ont été ramonés et de s’assurer que les travaux d’échenillage ont bien été effectués. La municipalité entretient également les chemins vicinaux qui souffrent beaucoup de l’état de guerre. Dans ce domaine aussi les plaintes affluent.

À l’exemple de Gaillac, les communes invitent, comme tous les ans en février, les bénéficiaires de l’assistance médicale gratuite à retirer rapidement leur carte pour l’année en cours. Elles aident également les plus démunis par la distribution de repas aux "fourneaux économiques". De son côté, la ville de Villefranche-de-Rouergue décide d’arrêter ce secours en raison du faible nombre de demandes.

Situation économique
Dans l’ensemble, la situation économique est difficile car les incertitudes sont nombreuses. Par exemple, le 13 février, par manque de matériel, à Carmaux, les ouvriers mineurs des puits de Saint-Mario et de la Tronquié sont remontés à 10 h et leur travail arrêté.

De plus, le problème de la petite monnaie est récurrent. Pour pallier à ce manque, les chambres de Commerce émettent les bons de monnaie, pour la seconde fois le 5 février à Montauban. À Auch, le département écoule du papier-monnaie et les chambres de commerce du Tarn émettent pour 300 000 F de billets de 1 F et de 0,50 F. Le 9 février, celle de l’Ariège diffuse 200 000 bons de monnaie dont 134 000 billets de 1 F et 66 000 de 0,50 F qui n’auront cours que dans le département.

Enfin, le mauvais temps n’arrange pas la situation. Dans les Pyrénées, la neige tombée en abondance, les nombreuses avalanches ne permettent plus de circuler et les bêtes sauvages s’approchent des habitations : le passage de bandes de sangliers et de loups est signalé dans quelques villages de la vallée d’Aure. Le 22 février, une tempête s’abat sur la région. Toulouse, Montauban, Castres, Albi, Castelnaudary, le Gers et l’Ariège sont touchés et les dégâts sont nombreux. À Toulouse, plus de 200 arbres sont déracinés, les tribunes du stade de football se sont écroulées, une palissade a volé sur un tramway, les cheminées et ardoises tombées dans la rue ne se comptent plus…

Aides de l’État
De nombreuses personnes bénéficient d’aides de l’État. Le 5 février, les allocations prévues par la loi du 4 août 1914 concernant les familles de mobilisés, sont étendues aux victimes civiles de la guerre. Les autorités décident ensuite, le 13 février, de verser des rentes viagères aux veuves de militaires tués et en cas de décès de la mère, promettent un secours annuel aux orphelins mineurs.

Les allocations journalières aux familles de mobilisés sont payées par l’État. Les personnes adressent leurs demandes à la mairie de la commune où elles résident. Les dossiers sont ensuite transmis à la commission cantonale chargée de statuer. Puis, les municipalités versent les allocations aux bénéficiaires à intervalles réguliers. Mais, ne recevant pas à temps les fonds de l’État, elles se plaignent des avances faites qui grèvent leur budget.

Enfin, le ministre des Finances annonce le 13 février, le dégrèvement de la patente (impôt d’une activité économique, commerciale, industrielle) pour tous les mobilisés dont les établissements sont fermés au 1er janvier 1915.

Censure
La censure est toujours active. Le 21 février, la Libre Parole, journal dirigé par des catholiques ultra-conservateurs, est suspendu pour quinze jours. L'"Express du Midi" et la "Dépêche" ne peuvent pas publier certains articles. Les parties blanches dans les colonnes des quotidiens témoignent des interdictions. Malgré cela, les tirages des journaux ont augmenté depuis le début de la guerre, celui de l’"Express du Midi" ayant "plus que quintuplé".

Sport et spectacle
La vie sociale, culturelle et sportive continue et les différentes sociétés et associations convoquent de plus en plus régulièrement leurs membres comme celle des "vétérans de 1870", de la société d’astronomie populaire de Clémence-Isaure, de la société de géographie toulousaine ou, le 9 février, de la société archéologique du Tarn-et-Garonne…

Au début du mois, le cinéma Pathé à Toulouse présente dans ses actualités les conséquences du tremblement de terre qui s’est produit en Italie, les images et informations de la guerre suivies du film le "Poteau de la mort". À Gaillac, les actualités de la fin du mois portent sur la ville de Reims. Le bombardement de la cathédrale par l’artillerie allemande est dans toutes les mémoires.

Le 15 février, dans le cadre de la coupe nationale dans un match association, le Football-Club de Pamiers vient battre aux Ponts-Jumeaux, le Stade Toulousain par 2 buts à 1 après deux prolongations de quinze minutes.

Nos soldats
De nombreuses décisions sont prises par les autorités pour s’adapter à la situation de guerre : par exemple, les sursis d’incorporation sont supprimés pour les étudiants ou les "affaires d’intérêt". Mais, le 4 février, le général Goetchy s’interroge sur le grand nombre de sursis accordés à des ouvriers de la métallurgie. Il ordonne une enquête pour évaluer l’étendue d’éventuels abus.

Le 12 février, le ministre de la Guerre annonce la réhabilitation des condamnés qui, ayant été rappelés sous les drapeaux, ont fait l’objet d’une citation pour action d’éclat. Huit jours plus tard, il décide que les pères de six enfants seront rattachés à la classe 1887, c’est-à-dire la dernière classe qui sera mobilisée.

Enfin, le 27 février, l’armée retourne les effets civils des jeunes incorporés à leurs familles. Cette mesure administrative met en émoi les parents des mobilisés qui craignent d’apprendre la perte des leurs.

Nos morts
Le 8 février la lettre que tous les parents ne veulent pas recevoir arrive dans la famille Barbe demeurant à Gaillac. Le commandant de Torquat écrit : "J'ai la douloureuse mission de vous annoncer que votre fils, le lieutenant Barbe, officier mitrailleur, a été [mortellement] blessé le 10 novembre. Je n'ai pas besoin de vous dire combien je suis peiné de ce malheur, connaissant depuis longtemps votre fils. J'avais pour lui la plus haute estime comme homme et comme officier. C'est une grosse perte pour mon bataillon, pour tout le régiment. À cette perte s'ajoutent les regrets que nous fait éprouver la disparition d'un camarade que nous aimions tous".

Les infirmières paient également un lourd tribu, même celles situées à l’Arrière. Le 17 février sont organisées les obsèques à Saint-Sernin de mademoiselle Angèle Berp, infirmière morte à l’hôpital du Lycée, "fatiguée victime de son dévouement".

Nos blessés et nos prisonniers
Les listes de soldats disparus, prisonniers, morts au champ d’honneur sont toujours très longues et les convois de blessés affluent dans la région comme à Auch le 8 février. Au cours du mois débute l’échange, annoncé en janvier, de prisonniers français et allemands "inaptes à reprendre les armes". Grâce au gouvernement suisse et au pape, 5 000 prisonniers français seront rapatriés d’Allemagne à raison de 400 par jour. Le 27 février, 40 prisonniers allemands quittent Montauban pour Genève où ils seront échangés.

En publiant les listes de prisonniers, les autorités informent les familles inquiètes des lieux de détention des leurs. Mais le 19 février, par application d’une circulaire du ministre de la Guerre, l’armée décide sans autre explication de ne plus envoyer ces listes aux maires.

Les prisonniers civils, les habitants des départements de l'Aisne, de la Marne et de la Somme qui ont été pris par les Allemands "avant notre victoire de la Marne", sont aussi renvoyés en France. Un nouveau convoi venant d'Allemagne arrive dans le Sud-Est. Le 17 février, on compte plus de 3 000 internés civils rapatriés par la Suisse.

Bonnes œuvres
De nombreuses associations organisent les collectes et dons comme "l’œuvre du vin dans le Gers" qui a recueilli 7 400 hl de vin et 62 619 F. Les bénévoles des "paquets d’hiver de nos soldats et des prisonniers du Midi" rassemblent les dons, confectionnent des chaussettes, cache-nez et autres passe-montagnes et gants qu’ils envoient aussitôt. "L’œuvre des tombes de nos héros" informe les familles du lieu d’inhumation des leurs, aide aux sépultures et participe aux inhumations et un nouveau service de la Croix-Rouge apparaît le 4 février, celui des "Secours aux prisonniers nécessiteux". Le timbre-poste de la Croix-Rouge continue à être vendu au profit des hôpitaux et des blessés.

Les dons proviennent de journées organisées par les volontaires : la "journée du 75" a rapporté 500 F à Gaillac aussitôt versés à la mairie qui les a transmis à la préfecture. Dans l’arrondissement de Saint-Girons, 5 535 F ont été récoltés. Parfois, comme à Auch le 15 février, un concert est organisé au profit des hôpitaux de la ville.

La journée du 75, carte postale.
La journée du 75, carte postale, © Collection privée

Les réfugiés
La "journée du Drapeau belge" rencontre également un certain succès et les dons recueillis vont alors au comité franco-belge pour améliorer la vie des réfugiés qui arrivent toujours en grand nombre. Le 17 février deux convois de 1 000 personnes chacun passent à Montauban pour aller à Toulouse. Des listes recensant les déplacés sont dressées puis elles sont affichées en mairie tous les jours vers 11 h. Ces personnes ne proviennent pas toutes de Belgique car nombreuses sont celles originaires des départements de l’Aisne, des Ardennes, de la Marne, de l’Oise et des Vosges envahis par les Allemands.

Nos ennemis
L’hôpital des prisonniers allemands à Toulouse qui a reçu et soigné des milliers de soldats de l’armée ennemie, installé dans les anciens locaux du pensionnat Saint-Joseph rue Caraman, est exemplaire. Dès le début, il manquait de tout mais en février 1915, il abrite des ateliers qui permettent aux prisonniers soignés de fabriquer des appareils pour les handicapés allemands et français. Ils aident aux soins et "dernièrement furent découverts des plans de construction d’une voiture d’ambulance automobile". Trois ambulances sont alors construites avec l’aide des prisonniers sous la direction d’un ingénieur français.

Hôpital complémentaire n° 35. Toulouse. École supérieure Berthelot. Salle n° 11. 59 rue Achille-Viadieu. Groupe de blessés, d’infirmiers et d’infirmières.
Hôpital complémentaire n° 35. Toulouse. École supérieure Berthelot. Salle n° 11. 59 rue Achille-Viadieu. Groupe de blessés, d’infirmiers et d’infirmières, © Ville de Toulouse, Archives municipales, cote 9 Fi 5083 
TItre
Mars 1915
Corps

En mars, la lutte contre l’alcoolisme aboutit à la loi du 16 mars 1915 relative à l'interdiction de la fabrication, de la vente en gros et au détail, ainsi que de la circulation de l'absinthe et des liqueurs similaires.

Affiche publicitaire de l’absinthe Rosinette.
Affiche publicitaire de l’absinthe Rosinette, © Wikimedia.org

Le 24 mars, le professeur Hyacinthe Vincent met au point le vaccin contre le choléra. Ce médecin en chef du Val-de-Grâce, membre de l’Académie de médecine, a aussi combattu avec succès la fièvre de Malte et les infections à staphylocoques. Il est célèbre par ses travaux qui portent sur le vaccin contre la typhoïde. Grâce à lui, la vaccination T.A.B. est rendue obligatoire depuis mars 1914 dans l’armée et la typhoïde est "en train de disparaître de la zone des armées".

Hyacinthe Vincent (1862-1950) médecin général inspecteur de l’armée.
Hyacinthe Vincent (1862-1950) médecin général inspecteur de l’armée, photo b025209, © http://resource.nlm.nih.gov/101430978, The National Library of Medicine believes this item to be in the public domain

Affaire Desclaux
Depuis le mois de janvier, l’"affaire Desclaux" défraie la chronique. Les perquisitions et les interrogatoires se succèdent, l’enquête avance rapidement et les enquêteurs découvrent le 11 mars à la villa à Savigny-sur-Orge que possède madame Bechoff, une trentaine de tentes pour soldats. Le dossier de son amant, monsieur Desclaux trésorier payeur aux armées, s’alourdit.

Le procès médiatisé, tenu devant le 1er Conseil de guerre de Paris débute le 22 mars et le jugement est prononcé quatre jours plus tard : François-Eugène-Baptiste Desclaux est rayé des cadres de la Légion d’honneur et condamné à 7 ans de réclusion et à la dégradation militaire. Madame Bechoff sera emprisonnée pendant deux ans et l’employé des Postes, monsieur Verge complice de monsieur Desclaux sera écroué pendant un an. Les quatre autres inculpés sont acquittés.

D’après l’historien Jean-Yves Le Naour dans 1915, l’affaire Desclaux est politique car les détournements incriminés représentent seulement 500 F, "une misère, rapportée à la fortune personnelle des deux accusés". La droite française réussit à atteindre le radical Joseph Caillaux ancien président du Conseil dont Desclaux était alors son chef de cabinet.

Mme Beschoff dans le box
Mme Beschoff dans le box : Agence Meurisse, © Gallica.bnf.fr 

Agriculture
Le ministre de l’Agriculture avait annoncé vers le 30 janvier, la fin des subventions agricoles pour les concours, foires, manifestations diverses pendant la durée des hostilités. Mais ces rassemblements étant indispensables au monde agricole, les responsables départementaux les organisent sans l’aide de l’État. Au début du mois de mars, les concours d’approbations et de primes aux taureaux reproducteurs sont tenus dans de nombreuses villes de la région à Salies, Boulogne, L’Isle, Cazères, Saint-Gaudens et, en fin de mois, à Luchon. Le 3 mars à Arignac, le concours de taureaux meilleurs reproducteurs de la race gasconne est même doté de 100 à 150 F de primes.

Le ministère intervient toutefois en incitant les agriculteurs à innover. Dans le Gers, il crée le 9 mars deux commissions. La première a pour objet d’étudier les conditions d’utilisation de la viande frigorifiée, la seconde est chargée d’évaluer l’emploi des moteurs d’automobiles réformées afin de pallier, dans une certaine mesure, le manque de main-d’œuvre. Pour la même raison, des essais de culture "sans charrue" sont présentés à Montesquieu-Volvestre le dimanche 21 mars à 10 h dans une vigne. Au lieu de labours profonds, l’agriculteur réalise des grattages superficiels destinés seulement à aérer le sol et à conserver son humidité, conditions indispensables à la prolifération des microbes.

En raison de la pénurie de main d’œuvre, les responsables agricoles demandent également à l’État de mettre les enfants en "congés scolaires pour travaux agricoles". Les difficultés rencontrées dans l’agriculture sont de plus en plus grandes. Le coût des matières premières, du transport et de la main-d’œuvre augmente. La mercuriale du 8 février publiée le 10 mars, au marché de Montréjeau, établit les prix suivants : en moyenne, le blé passe de 23 F en novembre à 30 F, le maïs reste stable à 17 F, le sarrasin est à 13 F, l’avoine à 15 F. Les poulets coûtent 4 F, les poules 5,50 F, les dindons 12 F chacun, le lait à 0,15 F le litre lorsque le beurre est à 3 F le kilo.

Le syndicat des agriculteurs du Gers fait preuve de solidarité paysanne. Il aide le 25 mars, les agriculteurs syndiqués des régions du nord de la France à reconstituer leur cheptel et leur outillage agricole détruit par l’ennemi.

Réquisitions
Les résultats des réquisitions militaires de chevaux à Lavaur et Graulhet tenues le mois dernier sont rendus publics en mars : sur 550 chevaux examinés, 17 seulement ont été retenus par les autorités et achetés. À Lavaur, 138 bœufs et vaches sont saisis et les autorités militaires réclament en outre des voitures à quatre roues à un cheval ou deux chevaux pourvues de leurs accessoires (harnais, haches, cordes, clés pour graissage, côtés et derrière). Mais les réticences à ces requêtes sont grandes et en cette fin de mois, les propriétaires et les maires sont de plus en plus nombreux à ne pas vouloir répondre favorablement aux demandes de fournitures faites par les commissions de réquisition.

Enseignement
Afin de remplacer les instituteurs et professeurs mobilisés, le ministère de l’Instruction publique fait appel à toutes les bonnes volontés en recherchant quand même un minimum de compétences. Aussi, le 6 février en Ariège, l’inspection académique informe qu’elle fixe au 25 mars l’examen du certificat d’aptitude pédagogique, certificat indispensable pour enseigner.

Le conflit perturbe les examens et nombreuses sont les sessions supplémentaires. Une session spéciale du brevet élémentaire et du brevet supérieur est ouverte le 22 mars et les résultats publiés les jours suivants. Une session extraordinaire d’examen pour la licence ès-lettres se déroule le 20 mars pour les seuls étudiants n’ayant pu, à cause de la mobilisation, passer l’examen en novembre 1914. Pour les mêmes raisons, les épreuves du baccalauréat sont fixées au vendredi 19 mars et les jours suivants.

Vie municipale
Plusieurs cas de fièvre typhoïde ont été constatés à Toulouse. En "raison de la légère modification survenue dans l’état sanitaire de la commune", la municipalité conseille le 2 mars aux toulousains de faire bouillir l’eau et le lait pendant quelques minutes, de faire "cuire les légumes poussant au ras du sol" et de se soumettre à la vaccination. Elle organise des permanences tous les jeudis soir au bureau d’hygiène, 6 rue du Sénéchal.

La municipalité intervient aussi dans le prélèvement de taxes comme celle portant sur les chiens. Leurs propriétaires doivent retirer au début de mars, au bureau des contributions situé au 71, rue du Taur, les plaques spéciales destinées à être fixées sur les colliers, prouvant que la taxe est payée.

La mairie est également garante des règlements et bonnes mœurs. Dans l’intérêt de la morale et de la santé publiques, le commissaire central de Toulouse interdit le 5 mars aux débitants de boissons l’emploi de toute femme "comme bonne" et l’entrée de "toute femme se livrant à la prostitution ou inscrite sur le contrôle du service des mœurs". Toute infraction sera punie de 15 jours de fermeture. Le 10 mars, la commune de Castres inflige quatorze contraventions à divers limonadiers de la ville pour fermeture tardive et trois amendes pour avoir des bonnes à leur service sans autorisation. À Albi, n’ayant pas respecté les horaires de fermeture, cinq débits de boissons sont punis tandis qu’à Saint-Girons, deux cafés sont fermés le 21 mars pour "cause administrative".

Mais, comme tous, les juges de paix sont mobilisés et la gestion des litiges de la vie quotidienne est déficiente. Aussi, l’État décide que le juge de paix mobilisé peut être remplacé par celui d’un canton voisin ou bien par un suppléant. Dans ce dernier cas, la somme de 150 F par mois pourra être allouée au nouveau juge.

Les difficultés quotidiennes s’accroissent : à Lavaur le dernier médecin doit partir pour le front et la population demande le 16 mars aux autorités qu’il reste.

À Moissac, les gens se plaignent du mouillage du vin et à Toulouse, la nuit tombant à 6 h ½, la ville reste dans l’obscurité pendant une heure, les becs de gaz et d’électricité n’ayant pas été allumés. Elle fait ainsi des économies nécessaires en temps de guerre comme Agen qui informe de l’arrêt, le samedi 20 mars, de l’œuvre des soupes populaires créée pour la saison d’hiver.

Parfois, le manque évident de personnel impose à la mairie de Toulouse de recruter six égoutiers payés 3 F par jour. Et les plaintes portent également sur l’état déplorable de la voirie urbaine de nombreuses communes, même contre le bruit fait par "un de ces auto-camions surchargé de sacs et faisant un vacarme épouvantable avec ses roues non caoutchoutées".

À Mazamet, un groupe de patrons et d'employés veulent le respect par tous du repos dominical. Aussi, ils "ont l'honneur de porter à la connaissance des commerçants signataires du contrat au sujet de la fermeture des magasins à partir de midi tous les dimanches et jours fériés, qu'à partir du dimanche 28 mars, une police sera organisée contre ceux qui, depuis la mobilisation, font dérogation aux clauses de ce contrat".

Enfin, comme chaque année les départements (Tarn-et-Garonne, Gers…) annoncent qu’ils lancent les vérifications des poids et mesures des machines installées chez les commerçants.

Deux évènements retiennent l’attention en mars, le premier étant l’effondrement au début du mois des campaniles du clocher de l’église Saint-Jean à Cahuzac-sur-Vère. Un vent très violent a renversé le clocher de l’église qui menaçait de tomber depuis quelques temps. Le deuxième évènement survient le 14 mars : la briqueterie de Bruguières subit un incendie. À 11 h, on a sonné le tocsin, le maire ayant aussitôt prévenu les pompiers de Toulouse qui accourent. La centaine d’ouvriers du propriétaire monsieur Morel va être mise au chômage.

La briqueterie de Bruguières (31) vers 1900.
La briqueterie de Bruguières (31) vers 1900, © Mairie-bruguieres.fr/histoire.asp 

Vie économique
Le 4 mars, le prix du pain blanc à Condom est à 0,45 F le kg, celui du pain bis à 0,37 F et celui du pain de 1,5 kg à 0,43 F. Mais au cours de ce mois, le prix du blé augmentant de manière considérable, les municipalités commencent à stocker la précieuse céréale.

Comme dans l’agriculture, le manque de main-d’œuvre dans l’industrie devient crucial parce qu’il faut répondre aux marchés de l’armée. Le 8 mars, les usines installées à Castelsarrasin recherchent des ouvriers en fer, des serruriers, des forgerons, des maréchaux, des charpentiers et des ouvriers pour l’usinage de douilles de canons. Le salaire minimum est de 3,50 F plus une prime de 0,25 F par jour pour les hommes, de 1,75 F plus une prime de 0,25 F par jour pour les femmes. En fin de mois, parce qu’il n’y a pas de main-d’œuvre localement, on fait appel aux ouvriers espagnols.

Les échanges sont heureusement facilités par les chambres de commerce. Celle de la Haute-Garonne informe le 11 mars les commerçants du département, qu’elle a reçu un second envoi de la monnaie du billon donnée par sac de 50 F pour celle en cuivre et 200 F pour celle en nickel. Ces pièces faites en alliage pauvre de cuivre et de nickel et ne représentant pas leur valeur réelle sont mises en circulation pour pallier au manque de petite monnaie.

Les communications téléphoniques arrêtées depuis le début de la guerre sont peu à peu rétablies mais elles sont limitées aux seuls départements limitrophes. Par exemple, le 15 mars, le Gers ne peut communiquer qu’avec les Landes, le Lot-et-Garonne, la Haute-Garonne, le Tarn-et-Garonne, et les Hautes-Pyrénées.

Vie culturelle et sportive
Le 7 mars l’académie des sciences morales et politiques de Paris annonce la radiation de ses correspondants allemands et une exposition itinérante anti allemande arrive à Toulouse après être passée par Bordeaux.

Régionalement, les sociétés savantes deviennent de plus en plus actives comme la Société archéologique du Midi : lors de la séance du 10 mars, l’intervention de M. l’abbé Auriol porte sur les chapiteaux des portes du croisillon sud de Saint-Sernin de Toulouse et celle de Jules Chalande rend compte de l’étude archéologique de l’hôtel de Roquette, 2 rue d’Aussargues.

À la fin du mois, la finale du championnat des Pyrénées en rugby sur le terrain des Pont-Jumeaux oppose le Harlequins-Club Universitaire Toulousain au Football-Club appaméen.

Nos soldats
Les autorités militaires considérant le grand nombre de réformés pendant les premiers mois de la guerre, décident de leur faire passer un nouvel examen. Les hommes du service armé, considérés comme inaptes à faire campagne, doivent être examinés tous les deux mois par une commission médicale spéciale de trois médecins instituée dans chaque région. L’armée souhaite ainsi augmenter le nombre de combattants. Dans ce but, le ministère de la Guerre supprime le 21 mars toute permission pendant la durée de la guerre autre que les congés de convalescence sauf cas exceptionnels : "24 h à titre d’encouragement dans des proportions très restreintes, évènements exceptionnels (obsèques…)", une semaine pour militaires évacués pour blessures… En revanche, aucune permission ne sera accordée aux militaires indigènes de l’Afrique du Nord.

La classe 1916 devant être incorporée le 20 mars 1915, les "messes de départ" sont célébrées dans les villes et villages, à Martres-Tolosane, Calmont... À Saint-Girons, les jeunes assistent à cette messe "en se rangeant près de l’autel de Jeanne d’Arc", symbole de la résistance à l’envahisseur.

Considérant par ailleurs que leur stock est suffisant et que la saison d’hiver tire à sa fin, les autorités militaires annoncent qu’elles ne rembourseront plus, à partir du 15 mars, le linge de corps et les vêtements chauds apportés par les soldats. Cette mesure ne s’applique pas aux chaussettes. L’armée demande également aux familles d’être plus modérées dans l’envoi de colis car leur nombre ayant plus que doublé depuis un mois, "il est matériellement impossible de les faire parvenir aux destinataires".

Nos blessés
Au septième mois de guerre, le nombre de blessés arrivant dans les huit départements de la région est encore important. Comme l’hôpital temporaire Saint-Vincent, situé à Gaillac, toujours complet avec ses 25 blessés dont les noms sont quotidiennement publiés, les nombreuses structures sanitaires ne désemplissent pas.

Certains blessés sont aussi soignés dans leurs familles. À Saint-Germé (Gers), un lieutenant est rentré chez lui se faire soigner. Mais il "était dans un état de santé des plus alarmants par suite de l’ébranlement de son cerveau" et il s’est donné la mort. Peu à peu, les médecins découvriront le concept de "névrose traumatique de guerre".

Afin de différencier les personnels qualifiés de santé des autres, le ministère de la Guerre légifère sur le port des insignes d’infirmiers. Il décide le 22 mars que les personnels féminins des trois sociétés d’assistance de la Croix-Rouge reconnues d’utilité publique porteront la coiffe et un voile de couleur blanche (modèle déposé au ministère) avec croix rouge et, sur le corsage de la blouse et sur la cape ou manteau, une croix rouge avec les initiales de la société brodées.

Nos prisonniers
Il est conseillé aux familles qui souhaitent communiquer avec les leurs, prisonniers en Allemagne, d’éviter l’envoi de cartes-correspondances comportant des drapeaux ou faisceaux de drapeaux français. Les Allemands interdisant ces symboles, nos prisonniers ne recevront pas leur courrier.

Par ailleurs, parce que le volume de la correspondance ralentit son acheminement, le comité international de la Croix-Rouge décide le 21 mars que tous les prisonniers auront droit d’envoyer deux lettres par mois (4 pages au plus) et une carte postale par semaine "écrites lisiblement et d’une grande écriture". Il met en garde les personnes qui envoient de trop longues lettres. Elles seront reçues avec grand retard car elles passeront les contrôles les dernières.

Enfin, les travaux de la ligne ferroviaire de Bazas à Auch sont prochainement ouverts dans la région. Les autorités souhaitent "largement employer" les prisonniers allemands.

Conseils de guerre et tribunaux
Les "conseils de guerre permanents" jugent toujours des affaires concernant des désertions, des vols le plus souvent au préjudice de l’armée, parfois au détriment de particuliers ou dans un cas, des vols de colis commis sur les emprises de la Compagnie du Midi, des complicités de vol, des insoumissions, des "outrages par paroles envers un supérieur", des refus d’obéissance… Le 4 mars un insoumis est transféré de Simorre dans le Gers à la prison militaire de Toulouse dans l’attente de son jugement.

Le 11 mars, le tribunal correctionnel condamne à 16 F d’amende une personne qui a utilisé un timbre de 10 cts déjà oblitéré, à un mois de prison et 5 F un homme en état d’ivresse sur la voie publique et un mendiant à 3 mois et un jour de prison. Les contraventions pleuvent à Albi sur trois personnes poursuivies pour des faits de violences légères et sur des commerçants ayant fraudé sur la quantité et la qualité de vins et de laits vendus. Même un juge de paix, celui de Fleurance, est inculpé probablement de vol et provisoirement suspendu de ses fonctions le 27 mars.

Les réfugiés et les étrangers
Les convois de réfugiés arrivent en grand nombre dans la région et le 6 mars, Toulouse accueille encore 500 réfugiés civils. Face à cet afflux et anticipant des problèmes de sécurité, l’État décide le 12 mars que les permis de séjour des étrangers en France devront dorénavant être munis d’une photographie timbrée par le commissaire ou le maire. À Condom, les étrangers doivent se présenter au commissaire de la ville avec une pièce d’identité, le permis de séjour et une photographie afin de remplir les nouvelles formalités. Il leur est rappelé qu’ils ne peuvent pas quitter sans autorisation écrite du préfet leur commune de résidence.

En vue de couvrir une grande partie des frais d’installation des réfugiés autant étrangers que français, les associations recourent aux souscriptions. L’Atelier belge installé à Paris établit le 18 mars, une filiale rue de Metz à Toulouse chargée d’assister et de placer gratuitement les réfugiés belges.

Aides de l'Etat
Répondant aux nombreuses demandes d’assurés mobilisés qui ne peuvent pas payer leurs cotisations aux retraites ouvrières, le ministre du travail rappelle qu’un décret établit que la durée de mobilisation de l’assuré sera prise en compte pour la détermination de l’allocation viagère.

Par ailleurs, la population de la région se plaint des critères d’obtention d’allocations pour les familles de mobilisés qu’elle considère arbitraires. Les autorités locales de Mazamet ayant observé que certaines familles sont allocataires, d’autres dans les mêmes conditions ne le sont pas, propose le 16 mars, d’aider celles qui ne le sont pas dans les démarches à effectuer.

L’État décide d’étendre le droit aux pensions des veuves de militaires morts au combat à celles de militaires décédés de maladie contagieuses ou endémiques contractés dans les dépôts de l’intérieur. Les veuves alors nombreuses s’organisent et la première assemblée générale de l’"œuvre nationale pour la protection des veuves et orphelins de la guerre de 1914" se tient vers le 10 mars.

Bonnes œuvres
Les soirées de bienfaisance comme celle organisée le 4 mars à Castelsarrasin, les concerts de la Croix-Rouge comme à Lavelanet ou de charité à Rodez sont autant d’occasions données aux œuvres sociales pour augmenter leurs ressources. Les stocks arrivent à épuisement et les appels aux dons sont de plus en plus pressants. Ils témoignent de la baisse de la générosité de chacun. La guerre est maintenant longue, les actions sociales sont considérables, aides aux soldats, aux prisonniers, aux blessés, aux mutilés, aux réfugiés… et ce d’autant que les secours locaux n’ont pas disparu : le 11 mars la mairie d’Albi lance la souscription annuelle au profit des pauvres de la ville.

Pourtant de nombreux ouvroirs font toujours œuvre de charité comme celui situé à La Bastide-de-Sérou dans l’Ariège. Des jeunes filles ou femmes, bénévoles, confectionnent chaussettes, plastrons, gants, passe-montagnes… et remettent à neuf des linges usagés destinés aux soldats, aux prisonniers et aux blessés.

Hôpital complémentaire n° 35. Toulouse. École supérieure Berthelot. La lingerie et l’ouvroir. 59 rue Achille-Viadieu. 1914. Femmes en train de coudre.
Hôpital complémentaire n° 35. Toulouse. École supérieure Berthelot. La lingerie et l’ouvroir. 59 rue Achille-Viadieu. 1914. Femmes en train de coudre, © Ville de Toulouse, Archives municipales, cote 9 Fi 5887
TItre
Avril 1915
Corps

Symbole de la Grande Guerre, la croix de guerre est créée par la loi promulguée le 8 avril 1915. "On estime" dit alors l’un des parlementaires "qu’elle pourra être distribuée dans un mois". Cette décoration due au sculpteur Paul-Albert Bartholomé récompense les militaires ayant fait l’objet d’une citation pour conduite exceptionnelle.

Ariège. Suc-et-Sentenac, église Saint-Georges, détail de la croix de guerre portée sur le drap d'autel.
Ariège. Suc-et-Sentenac, église Saint-Georges, détail de la croix de guerre portée sur le drap d'autel, © Conseil régional Midi-Pyrénées

Après le 22 avril, la presse dénonce l’utilisation par les allemands de "bombes asphyxiantes". Pourtant Berlin et Vienne ont ratifié en 1909 la Deuxième conférence de La Haye qui interdit les gaz asphyxiants.

Ariège. Pamiers, cathédrale, détail des soldats portant des masques à gaz.
Ariège. Pamiers, cathédrale, détail des soldats portant des masques à gaz, © Conseil régional Midi-Pyrénées

C’est aussi en cette fin d’avril qu’est développée la photographie aérienne. Les prises de vues sont réalisées à partir de dirigeables et d’aéronefs.

Agriculture
Les autorités cherchent à améliorer les rendements agricoles. Aussi, une série de conférences dont le thème porte sur "la guerre et l’agriculture de demain", débute dans la région par Cahors le 1er avril.

La situation agricole régionale paraît satisfaisante car les récoltes s’annoncent bonnes. Mais à cause des intempéries, elles seront en retard. Les agriculteurs se plaignent toujours du coût élevé des produits comme le sulfate de cuivre (80 F les 100 kg) et de la rareté de la main-d’œuvre. Aussi, pour faire face aux 170 demandes qu’il a regroupées, le comité agricole de la Haute-Garonne engage 1 000 espagnols. Les autorités précisent que règlementairement, les permis de séjour ne sont valables que sur le territoire de la commune où les étrangers sont engagés.

Pour faire face au manque de main-d’œuvre, les prisonniers allemands sont eux-aussi employés. Le 14 avril, le conseil général du Tarn, émet le vœu que la fenaison et le battage soient assurés par eux. Ces travailleurs ne pouvant être proposés qu’à des collectivités, les maires décident de centraliser les demandes et de traiter à la place des agriculteurs. Les autorités militaires louent les groupes de 20 hommes minimums et le cultivateur qui assure le logement et le couvert paie alors 0,40 F par homme et par jour à l’armée. Si la nourriture n’est pas fournie, il faut compter 1 F par homme et par jour et lorsque l’employeur ne fournit rien, il doit payer 1,50 F. Le travail de qualité est récompensé et l’employeur peut alors ajouter 0,20 F. En revanche, si le travail est mal fait, le commandant de l’escouade peut supprimer 0,20 F par homme.

Réquisitions
Les réquisitions pèsent toujours autant. La municipalité de Villefranche-de-Rouergue a calculé la quantité prélevée lors de la foire d’avril 2015 qu’elle estime à près de 700 bêtes. De plus, les prix imposés par l’armée sont bas. Le bœuf de première qualité est à 100 F les 100 kg et la vache de même qualité à 90 F. Les chevaux sont également réquisitionnés en nombre. Aussi, dans une lettre adressée le 11 avril au ministre de la Guerre, le député de Muret, Vincent Auriol, (il sera président de la IVe République de 1947 à 1954) demande que les quantités prélevées par les réquisitions soient moins importantes et mieux payées. Monsieur Azéma, conseiller général de la Haute-Garonne proteste à son tour en séance contre les réquisitions de bétail qu’il juge trop importantes et qui atteignent les animaux destinés aux travaux. Son collègue, monsieur Cadéac, présente les achats de la commission de réquisition comme des spoliations car d’après lui, l’autorité s’approprie les biens à un prix généralement bas.

Vie départementale
La session de Pâques des conseils généraux est ouverte le 12 avril. Les travaux concernent en priorité les commissions départementales d’alimentation civile et de répartition et de secours aux populations. Elles participent à l’approvisionnement des farines, la réquisition du bétail, la main-d’œuvre, les sursis accordés à des professionnels comme les boulangers... 
Lors de la session du conseil général de la Haute-Garonne, le 13 avril, les conseillers se prononcent contre la spéculation des blés et farines. Les plaintes concernant le prix du pain affluent depuis quelques mois ainsi que celles sur le poids de cette denrée. Pourtant les autorités locales sévissent. Des boulangers dénoncés ont été condamnés parce qu’ils trichaient sur le poids des pains qu’ils vendaient. Afin d’enrayer la spéculation sur les farines, le toulousain monsieur Maurel propose le 21 avril à l’Académie nationale de médecine à Paris de mélanger la farine de riz à celle de froment pour la fabrication de pain. Il est probablement entendu.

Les conseillers généraux sont également interpellés par les habitants qui se plaignent des changements survenus récemment dans les horaires de trains, principalement sur la ligne entre Lavaur et Toulouse.

Des ouvrières, alertent leurs élus car elles touchent 0,90 F en confectionnant les capotes des soldats vendues par les entrepreneurs 5,10 F aux autorités militaires. Quelques industriels profiteraient ainsi des marchés passés avec l’armée.

Les chambres de commerce continuent à pallier le manque de petite monnaie et celle de l’Aveyron émet des coupures de 1 F de couleur verte et 0,50 F mauve. Ces coupures proviennent des imprimeries de Toulouse. La contrefaçon est punie des travaux forcés à perpétuité conformément à l’article 139 du Code pénal.

Enfin, parce que les notaires pensaient renouveler leurs chambres de discipline, il leur est répondu le 22 avril que toutes les élections sans exception sont ajournées jusqu’à la cessation des hostilités.

Vie municipale
Les municipalités sont attentives à l’état sanitaire des populations. La rage sévissant à Gaillac, la mairie impose aux propriétaires de tenir leurs chiens en laisse ou muselés pendant une période de 2 mois sauf ceux de bergers et bouviers. Elle indique que les chiens seuls seront conduits à la fourrière et abattus après 48 heures ou 8 jours s’ils ont une plaque d’identité. Les chiens ou chats mordus ou roulés par un animal enragé seront immédiatement abattus ainsi que les cas suspects.

La mairie d’Albi s’inquiète le 25 avril de possibles épidémies "en raison de l’approche des chaleurs". Le bureau d'hygiène de la Ville édicte les conseils suivants : "La propreté minutieuse des habitations et des personnes, l'incinération des déchets ménagers, là où l'enlèvement n'est pas assuré par le service de voirie, l'usage exclusif d'une eau saine, pure et de bonne qualité, constituent des précautions efficaces et de premier ordre". Tous les propriétaires et locataires doivent entretenir et nettoyer tous les jours la voie publique et les ruisseaux au-devant de leurs maisons. Il est formellement interdit de jeter des déchets ménagers dans les rues et à cet effet, chaque immeuble doit être muni de "poubelles maintenues constamment en bon état d'entretien et de propreté".

Pour des raisons de sécurité, la même municipalité demande aux limonadiers de ranger les bouteilles en verre car elles deviennent la nuit des instruments de lutte entre les mains d’individus querelleurs ou en état d’ivresse.

Au milieu du mois, comme nombre de communes, Albi n’accepte plus les représentations théâtrales car "on ne devait pas se recréer et se distraire dans les lieux publics de spectacle alors que de nombreux enfants de France souffrent et meurent pour la patrie".

La commune de Toulouse interdit à son tour, en prévision des foires de mai, les activités bruyantes (manèges, parades…). Seules seront autorisées les installations de confiseries, bazars, "vente de cartes postales, fleurs et autres métiers ne faisant pas de musique".

Vie culturelle et sportive
La tournée dans les hôpitaux de la région du célèbre chanteur populaire Félix Mayol débute le 4 avril. Cet artiste interprète les chansons inoubliables "la Paimpolaise", "Viens poupoule"… Originaire de Toulon, fervent supporter et bienfaiteur du club de rugby local, il a donné son nom au stade de rugby de cette ville.

Affiche Mayol et sa troupe, 1915 d’Adrien Barrère.
Affiche Mayol et sa troupe, 1915 d’Adrien Barrère, © Gallica.bnf.fr 

Le 24 avril, une des œuvres de J.-P. Laurens "la douleur au Calvaire" entre dans l’église de Fourquevaux. Elle représente une femme voilée de noir – le modèle serait la femme de l’artiste - assise sur un rocher surmonté d’une croix endeuillée.

Avec l’arrivée des beaux jours, le Club alpin français, section des Pyrénées centrales, organise une sortie au Picou dans l’Ariège. Et le 30 avril, Toulouse annonce les nouveaux horaires d’ouverture des parcs, squares et jardins de la Ville de 6 h à 19 h ou 19 h 30 à partir du 1er mai.

Nos soldats
La Caisse d’Épargne paraît bien optimiste lorsqu’elle décide le 10 avril, de distribuer à tous ses clients mobilisés "la clef franco-allemande". Elle pense que ce petit manuel d’apprentissage à la langue allemande sera bien utile aux Poilus, "le jour prochain où nos soldats entreront sur le territoire ennemi".

L’armée n’envisage pas encore cette situation. Elle doit rapidement trouver de nouveaux soldats. Aussi, le ministère de la Guerre fixe l’appel par anticipation de la classe 1916 au 8 avril. Il ordonne ensuite le recensement des jeunes gens nés en 1897 (classe 1917) ainsi que des réfugiés des départements envahis. Il appelle également sous les drapeaux, les hommes de la classe 1889, ceux nés en 1869. Ils doivent rejoindre leurs dépôts à la fin du mois. Les exemptés et les réformés des classes 1887 à 1914 incluses y compris les évacués et réfugiés non recensés militairement doivent passer à nouveau devant les commissions militaires. Enfin, les autorités suspendent les engagements volontaires dans la marine pour ne pas priver l’armée de terre en hommes. 
Ces décisions permettent d’élargir les sursis aux forgerons et maréchaux-ferrants et aux ouvriers spécialisés indispensables dans les départements et les usines. La mesure est appliquée aux seuls "territoriaux" âgés de plus de 34 ans. Le ministre de la Guerre décide aussi de renvoyer dans leurs foyers les pères de six enfants et plus. Germain Alcouffe propriétaire du restaurant "Au Chevreuil" près de Villefranche-de-Rouergue profite de cette décision et peut ainsi retourner dans l’Aveyron auprès des siens.

D’autres mesures sont censées faciliter la vie des soldats comme la possibilité de mariage par procuration de militaires sous les drapeaux. Les familles ne sont pas oubliées car, à la fin du mois, l’État décide d’exempter de l’impôt sur la succession les héritiers de militaires morts sous les drapeaux.

Mais depuis quelques mois, deux problèmes se posent. Le premier est le nombre de tentatives de suicides ou de suicide de militaires de retour dans leurs familles. À Foix, le 5 avril, un lieutenant "pris d’un accès de fièvre chaude" tente de se suicider. À Vozian, à Toulouse et dans d’autres communes, des soldats "en convalescence" sont retrouvés morts chez eux. Le deuxième problème est la disparition dans les départements, de jeunes garçons parfois âgés de 14 et 15 ans. Les autorités découvrent l’existence des enfants soldats. Ils ont fui le domicile familial et suivi les régiments qui les ont ensuite adoptés. Plusieurs ont combattu et ont été blessés. La seule réponse du ministère de la Guerre est de considérer à titre exceptionnel comme militaires ces jeunes "de moins de 17 ans qui auront fait campagne dans les conditions indiquées et qui ne pourront justifier d’un engagement".

nfant soldat : Gustave Chatain, caporal de 14 ans
Enfant soldat : Gustave Chatain, caporal de 14 ans : [photographie de presse] / [Agence Rol], © Gallica.bnf.fr 

Il envisage de proposer une pension aux blessés et infirmes.

Nos blessés
Les convois de blessés arrivent sans cesse dans la région, à Rodez, Lectoure, Varilhes… À Auch, la commune prend la décision le 12 avril d’ouvrir de nouveaux hôpitaux et d’accroitre la capacité de ceux existants qui ne suffisent plus aux nombreux blessés qu’elle reçoit.

À Gaillac, le comité local de la Croix-Rouge demande le 18 avril qu’on lui prête des lits ainsi qu’un fourneau de cuisine. Les hôpitaux de la ville d’Albi ont reçu entre le 7 septembre 1914 et le 6 avril 1915, 10 893 militaires et 1 382 sont encore en traitement. Dans son rapport, M. Ouradou inspecteur primaire et secrétaire du Comité de Secours de la ville, préconise d’équiper les hôpitaux de jeux de plein air afin de "réparer rapidement les dépressions musculaires et redonner vigueur et souplesse aux organes fatigués ou meurtris" et ainsi de hâter leur convalescence.

Des erreurs surviennent parfois dans les listes publiées et le décès de l’instituteur Pourciel demeurant vers Villefranche-de-Rouergue, est annoncé alors que ce blessé est en voie de guérison à l’hôpital de Nancy.

Les premiers centres de rééducation sont ouverts, souvent dans les hôpitaux. Ils reçoivent les militaires mutilés ou invalides et de nombreuses autres structures sont en cours de construction ou d’aménagement.

Enfin, le ministre de la Guerre autorise les généraux à proposer la Légion d’honneur aux mutilés ou aveugles lorsqu’ils sont officiers et la médaille militaire à ceux sous-officiers et soldats.

Les prisonniers
Les prisonniers allemands sont employés à construire les lignes ferroviaires, celle d’Albi à Saint-Affrique ou celle entre Beaumont et Gimont. 660 prisonniers sont sur la ligne Carmaux-Vindrac. Mais l’autorité militaire a remarqué les relations qui existent entre les prisonniers et les autochtones. Aussi, le lieutenant-colonel du régiment situé à Auch demande le 25 avril à la population de n’avoir aucun rapport ni échange avec les prisonniers "ni par geste ni par paroles et ne rien leur donner".

Dans chaque camp, le ministère de la Guerre autorise le 27 avril les prisonniers à se faire photographier et à envoyer leurs portraits sur cartes postales à leurs familles. En revanche, les autorités françaises protestent contre l’Allemagne qui ne renvoie pas lors d’échanges de prisonniers, les médecins français chez eux.

Conseils de guerre et tribunaux
Les conseils de guerre jugent souvent les affaires concernant des désertions, des abandons de poste, des actes d’insoumission, des refus d’obéissance et des vols entre militaires.

Des fournisseurs de subsistances aux armées sont arrêtés pour trafics.

Fin avril, une affaire est jugée pour "injure commise par correspondance postale circulant à découvert" et une deuxième pour "propos de nature à exercer une influence fâcheuse sur l’esprit de la population".

Les réfugiés
Les réfugiés civils sont toujours plus nombreux. 500 prisonniers de retour d’Allemagne arrivent à Figeac le 11 avril. D’autres se rendent à Toulouse, 26 sont accueillis à Samatan. Le maire de Villefranche-de-Rouergue informe ses administrés qu’ils ont le devoir de loger des réfugiés. Ils recevront 1,25 F par jour et par adulte et 0,50 F par enfant. Ceux qui n’auront pas fait d’offre sont informés qu’ils pourront être réquisitionnés.

Par ailleurs, la commune appelle aux dons de linges de corps et de "vêtements même usagés mais raccommodés et propres et d’objets de literie".

Les réfugiées ont subi des exactions des Allemands lorsqu’elles étaient leurs prisonnières. Aussi, la question des petits "indésirables", "fruits de la violence allemande" est rapidement posée.

La Ligue nationale des femmes françaises émet le 27 avril les trois vœux suivants : celui que les femmes soient libres d’accepter ou non l’enfant-né, celui de les considérer comme des victimes de guerre ayant droit à réparations et celui qu’elles obtiennent une pension de l’État dans le cas où elles élèveraient leurs enfants.

Aides de l’Etat
Le nombre d’allocataires augmente car en début de mois, le droit à pension est ouvert aux soldats blessés en service commandé ainsi qu’aux infirmes graves et incurables. Des avantages sont aussi accordés aux familles qui perçoivent l’allocation pour soldat mobilisé. Elles peuvent envoyer gratuitement des petits colis à leurs parents. 
Mais les allocations sont toujours difficiles à obtenir pour certains et les nombreuses plaintes des familles sont relayées par les conseillers généraux. Ceux du département de la Haute-Garonne dénoncent les "passe-droits, les injustices et les légitimes colères". Ceux du Gers "ou plutôt les quelques membres qui n’ont pas été mobilisés" et ceux du Tarn proposent que toutes les familles d’appelés et de volontaires perçoivent les allocations.

Parce que ces prestations pèsent sur le budget de la nation, les autorités décident que les agents ouvriers de l’État, des départements et des communes, et les hommes renvoyés dans leurs foyers mis à la disposition de certaines industries indispensables à la défense où à la vie nationale (ouvriers, boulangers, minotiers…) devront choisir entre les allocations ou les salaires. Les membres du conseil général du Tarn trouvent scandaleux que les traitements des fonctionnaires mobilisés soient maintenus "alors que les industriels et les autres professions subissent sans aucun palliatif de l’État, les effets de la guerre".

Bonnes œuvres
Comme chaque mois, les nombreuses œuvres de bienfaisance organisent des journées (du soldat, serbe, du 75, belge…) ou des soirées comme celle qui se déroule le 14 avril à l’American Cosmograph de Toulouse ou celle de Vic-Fezensac. La musique du 76e régiment d’infanterie participe activement au concert qui se tient à Villefranche-de-Rouergue pour les œuvres militaires de secours aux blessés et soldats du front. L’objectif est de recueillir les indispensables dons et le 14 avril, l’union nationale des cheminots français déclare avoir recueilli 2 660 000 F pour venir en aide aux cheminots français et belges. Enfin, une nouvelle œuvre, celle de "l’aiguille de la réfugiée" est créée le 11 avril. Les femmes réfugiées fabriquent des ouvrages et objets de coquetterie qui seront ensuite vendus à leur profit.

Les autorités locales continuent leurs missions d’assistance envers les plus faibles et, début avril, les listes des vieillards aidés sont publiées en mairie. Il reste 20 jours aux personnes pour déposer quelques réclamations. À Gaillac, le 17 avril, la mairie appelle les viticulteurs locaux à donner 43 hl de vins pour compléter le wagon destiné aux soldats au front.

Transports
La compagnie d’Orléans rend public le 8 avril un rapport élogieux de ses activités. Elle déclare avoir transporté du 2 au 5 août les hommes à leur centre de mobilisation, "ce qui a nécessité la circulation de près de 1 500 trains sur [son] réseau". Du 5 au 18 août, les troupes des régions du Centre et du Midi et une partie de l’armée d'Algérie et du Maroc ont été acheminées vers la frontière. "Dans cette seconde période, près de 2 000 trains militaires ont été dirigés par nos voies", vers l'Est et le Nord. Un nombre égal a été mis en marche en sens inverse. Plus de 57 000 voitures et wagons ont transporté environ 600 000 officiers et soldats, 144 000 chevaux, 40 000 véhicules ou canons et 64 000 tonnes d'approvisionnements divers. La compagnie a, en plus, assuré le ravitaillement militaire du camp retranché de Paris, qui a nécessité, "jusqu'au 30 septembre, l'acheminement de 117 000 tonnes de denrées, 66 000 de fourrage, 107 000 bœufs, 211 000 moutons et porcs". Elle a fait face en même temps, au ravitaillement de l'armée en hommes, chevaux, matériel, vivres et munitions, ainsi qu'aux évacuations de blessés et de prisonniers vers l'intérieur. Elle assura enfin le transport de nombreux réfugiés et l’exode des Parisiens vers l’arrière lors de la bataille de la Marne et la retraite des armées.

Comme toutes les sociétés ferroviaires, elle doit s’adapter à la nouvelle règlementation sur la circulation. Quel que soit le lieu du départ, le sauf-conduit ne sera plus nécessaire que pour les parcours à destination de toute localité située dans un département frontalier. Ce sauf-conduit délivré par la mairie, portera l’identité et la signature du détenteur. Il indiquera l'itinéraire à suivre et sera exigé aux guichets des gares pour la délivrance des billets. 
 

TItre
Mai 1915
Corps

Plusieurs évènements internationaux surviennent en mai 1915.

Le 7 mai, le paquebot britannique "le Lusitania" sombre au large de l’Irlande, torpillé par un sous-marin allemand. Plus d’un millier de passagers disparaissent dont 128 américains. L’évènement retentissant jouera un grand rôle sur l’évolution de l’opinion américaine vers la participation du pays à la guerre contre l’Allemagne.

Après le crime du Lusitania
Après le crime du Lusitania, manifestations anti boches à Londres [meubles jetés par une fenêtre d'un magasin dont le propriétaire est sans doute d'origine allemande], [photographie de presse] / [Agence Rol],  © Gallica.bnf.fr 

Le 23 mai, le royaume d’Italie déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie et le lendemain les Alliés protestent contre les massacres perpétrés par le gouvernement ottoman envers les Arméniens. Ils dénoncent alors les violences et découvriront un génocide.

Réfugiés arméniens évacués par la Marine française en 1915 à Musa Dagh et transférés à Port-Saïd.
Réfugiés arméniens évacués par la Marine française en 1915 à Musa Dagh et transférés à Port-Saïd, www/memory.loc.gov, © Wikipedia.org

La déclaration de guerre de l’Italie
Le 11 mai, 200 Italiens demeurant dans la région, sont mobilisés et rappelés à la hâte dans leur pays. La déclaration de guerre de l’Italie est la vingtième du conflit. Seuls le Monténégro et la Turquie s’affrontent sans déclaration.

En l’honneur de l’entrée en guerre de l’Italie, le ministre de l’Instruction publique, Albert Sarraut, accorde le 25 mai un jour de congé à tous les élèves pour pavoiser les rues. Le lendemain, les jeunes des écoles et les étudiants manifestent en l’honneur de ce pays. À 14 heures, le cortège se forme place du Capitole avec des drapeaux italiens et français et parcourt les principales artères toulousaines. Il passe devant le consulat d’Angleterre puis, rue des Arts, devant les consulats d’Italie et de Belgique. Le quartier général, la mairie, la préfecture et la plupart des établissements militaires sont pavoisés aux couleurs des nations alliées : France, Russie, Angleterre, Belgique, Italie et Serbie. À Rodez le 29 mai, les monuments publics et les casernes sont ornés aux couleurs des nations alliées et un cortège envahit la ville.

Armée italienne, transport d'artillerie lourde
Armée italienne, transport d'artillerie lourde [soldats tractant une pièce en montagne], [photographie de presse] / [Agence Rol], © Gallica.bnf.fr 

Agriculture
Mai est le mois des transhumances et des concours agricoles. Ceux de poulains et de pouliches sont organisés à Auch le 6 mai – il est doté de 4 000 F de primes – à Mirande vers le 20 mai. Aux mêmes dates, se tiennent ceux concernant les taureaux étalons à Valence-sur-Baïse, à Ax-les-Thermes… Le concours de taureaux reproducteurs organisé à Foix est plus modestement primé, 580 F.

Les prix sur les marchés paraissent stables comme le montre la mercuriale du 3 mai à Montréjeau dans la Haute-Garonne. Le blé est à 30 F, le maïs à 19 F, le sarrasin à 16 F, l’avoine à 17 F, les haricots à 60 F et les pommes de terre à 7,50 F l'hectolitre. Les poulets coûtent 5,50 F et les poules 7 F alors que les dindons sont à 13 F l’unité. La douzaine d’œufs se vend à 0,80 F, le lait à 0,20 F le litre et le beurre à 3 F le kilo. Le bœuf et le veau sont à 1,10 F, le mouton à 1 F le poids vif.

Enfin, la circulaire permettant d’employer les ouvriers espagnols dans l’agriculture est publiée et les compagnies de chemins de fer proposent de les transporter à prix réduit (50%) à condition qu’ils soient au minimum cinq personnes.

Approvisionnement
Le pain est essentiel à l’alimentation. Aussi, l’État réquisitionne de grandes quantités de blés afin d’empêcher toute spéculation et toute hausse excessive sur le prix du pain. Le ministre du Commerce met le 14 mai "une certaine quantité de blé" à la disposition de la chambre de commerce d’Auch au prix de 32 F le quintal, prix payé par le préfet lors de réquisitions. 6 000 quintaux de blé fournis par l’État sont mis en dépôt au gymnase d’Albi et les commissions départementales de l’alimentation de la population civile reçoivent également cette céréale et des farines qu’elles proposent aux communes au même prix. Mais la fraude sur le pain reste importante. Le 15 mai, le conseil municipal de Toulouse demande une fois encore aux boulangers de vendre cette denrée au poids et non "à la forme" qui n’indique plus pour beaucoup, son poids. À Condom, le prix du pain blanc est à 0,48 F le kg, le pain bis à 0,40 et pain de 1,5 kg à 0,46 F le kg. De plus, les boulangers sont peu nombreux malgré les demandes des élus comme Jean Rieux, président du conseil général de la Haute-Garonne. Les autorités militaires refusent d’accorder un plus grand nombre de sursis à cette profession, privilégiant celles de forgerons et de maréchaux-ferrants indispensables à la vie rurale.

L’approvisionnement du bois et du charbon devient également de plus en plus problématique car les prix ne cessent d’augmenter.

Pour la même raison, le syndicat des limonadiers supplie le 24 mai les pouvoirs publics d’intervenir pour le sucre comme ils l’ont fait pour le blé "ce qui a permis d’arrêter la hausse et la spéculation".

C’est encore les nombreuses plaintes qui concernent la qualité du lait. Il est toujours mouillé c’est-à-dire mélangé à de l’eau malgré la surveillance de la police. Celle de Carmaux accueille le 11 mai aux entrées de la ville, les laitières venues vendre leur lait. Elles sont conduites pour des vérifications au commissariat.

Le problème de l’approvisionnement du gaz ressurgit dans l’ensemble de la région. La population réclame du gaz de meilleure qualité pour le chauffage et l’éclairage. Le 10 mai, une panne générale à Toulouse laisse la ville dans l’obscurité et mécontente les Toulousains. Le conseil municipal sommé de s’expliquer, se défend en mettant en cause la pénurie de charbon qui sert à produire le gaz. Le 29 mai, l’union des propriétaires proteste une nouvelle fois contre la mauvaise qualité du gaz qui "est chargé d’acide sulfureux qui attaque les métaux". Mis en cause, le directeur de la compagnie locale de gaz répond que ce produit est victime de son succès – le nombre de clients croît de 3,5% depuis 1911 - et déplore le manque de main-d’œuvre due à la guerre. Mais, même de mauvaise qualité, le prix du gaz augmente. À Montréjeau comme à Condom et dans d’autres villes, il atteint 30 centimes le m3, en raison de la "hausse anormale du prix des charbons à gaz".

Même les responsables d’industries textiles font part de leur mécontentement car ils dénoncent la faible qualité de laine dite "laine commune" qu’ils reçoivent de l’État. Elle est difficile à travailler et les draps réalisés pour la troupe ne satisfont pas aux contrôles des commissions de réception.

Enfin, le conseil général de l’Aveyron considérant le faible nombre d’instituteurs, le manque de main-d’œuvre et la fréquentation médiocre des classes durant la période estivale, sollicite le 8 mai l’administration pour qu’elle fixe la date des vacances au 1er juin et "la rentrée à la fin des hostilités".

Vie municipale
Les manifestations et défilés du 1er mai "fête du travail", sont interdits par les municipalités. Ce jour-là, le gouvernement indique aux maires que les conseils municipaux peuvent délibérer si la majorité des élus non mobilisés est présente. Il précise que les conseillers mobilisés ne sont pas déchus de leur mandat qui court jusqu’aux prochaines élections qui auront lieu sitôt la guerre terminée.

La santé publique est une des missions des municipalités. Les vaccinations obligatoires et gratuites concernent l’ensemble des habitants. Tous les enfants de 3 mois à 1 an doivent subir la première vaccination, ceux de 10 à 11 ans la "première revaccination" et ceux de 20 à 21 ans la "seconde revaccination". Les personnes qui refusent reçoivent une contravention. Le 8 mai, Castres débute la vaccination contre la variole.

Les mairies imposent aussi quelques mesures sanitaires. Celle de Gaillac demande que le balayage des rues soit effectué tous les jours dès huit heures par les propriétaires ou les locataires.

Suite aux réclamations, Montauban exige que les chiens entrant au jardin des Plantes soient tenus en laisse et interdit par ailleurs, la circulation dangereuse des vélocipèdes sur les trottoirs, promenades et sous les couverts de la Place Nationale.

Les communes prennent également en charge les vieillards, les infirmes et les incurables. Celle d’Albi annonce que les listes qu’elle a établies peuvent être consultées à partir du 30 mai pendant 20 jours au secrétariat de la mairie qui recevra les réclamations de chacun. En ces temps difficiles, les personnes démunies sont plus nombreuses qu’avant comme le constate la municipalité d’Agen. Le nombre de bénéficiaires des soupes populaires qu’elle a organisées, a augmenté de 11 369 en un an, 814 familles ayant été aidées et 33 099 repas gratuits distribués.

Enfin, dans le cadre de mesures environnementales, la municipalité toulousaine décide le 14 mai, la destruction des nids et couvées d’oiseaux nuisibles tels les pies et corbeaux. Elle autorise l’emploi de fusils limité aux dimanches 16, 23 et 30 mai et seuls les chasseurs pourvus d’un certificat du maire recevront pour l’occasion 200 gr de poudre chacun.

Éducation, vie culturelle et sportive
Le 28 mai, le ministère de l’Instruction publique publie une partie du Livre d’or de l’Université et invite les lycées et collèges à faire de même pour les anciens élèves morts aux combats.

C’est en grande partie au "nom des morts et des mobilisés qui défendent la patrie" qu’un grand nombre d’albigeois, désapprouvant les représentations cinématographiques et théâtrales en temps de guerre, demandent au maire de les faire cesser. Ce n’est pas le cas à Toulouse car le théâtre Lafayette annonce le 11 mai qu’il produira prochainement l’artiste d’opéra-comique Boulogne et le célèbre ténor Tharaud de retour des tranchées. Les spectacles sont donnés en faveur de l’œuvre des mutilés.

Nos soldats
En mai, le ministre de la guerre passe contrat pour la fourniture de croix de guerre. Cette décoration, créée au mois d’avril, récompense les soldats pour faits de bravoure. Il décide aussi que les engagements volontaires sont encore possibles sauf pour le train des équipages et les sections d’infirmiers, secrétaires ou commis. Puis il fait appel aux hommes du service auxiliaire de la classe 1916.

Le 21 mai, les autorités refusent les permissions sur le front car elles craignent que le secret des opérations soit compromis par les nombreux permissionnaires en contact avec la population locale. Et le 26 mai, le ministre décide que chaque soldat sera dorénavant équipé de deux plaques d’identité. Lors de la mort du militaire, l’une doit rester sur son corps, l’autre sera rapportée aux autorités. Il rappelle aussi que la veuve d’un soldat décédé des suites d’une maladie contagieuse reçoit 375 F par mois et celle d’un soldat tué à l’ennemi, 563 F. Il confirme enfin que la pension de veuve n’est accordée qu’à la femme mariée à un militaire décédé et non à sa fiancée. Des aides peuvent être attribuées aux enfants reconnus. Quant aux ascendants, ils n’ont droit aux secours que si le militaire décédé n’a laissé ni veuve, ni enfant.

Par ailleurs, les disparitions de jeunes enfants continuent. "Je suis parti pour le front avec Léon Breil de Viviez et Fernand Abraham" écrit l’un d’eux à ses parents. "Avertissez leurs parents". Heureusement vite rattrapés le 7 mai par la gendarmerie, ces jeunes de 12 à 14 ans après avoir couché à la belle étoile rentrent chez eux. C’est également le cas de deux jeunes ariégeois de 12 ans partis "pour l’Alsace" à la fin du mois. Arrêtés sur signalement à la gare de Toulouse, ils sont remis à leurs parents.

Les blessés et les réfugiés
Les blessés arrivent toujours plus nombreux dans notre région le 1er mai à Alan dans la Haute-Garonne puis à Foix, à Auch... 222 encore à Toulouse le 10 mai, ville qui en reçoit 250 le 27 mai. À Albi, suivant en cela les préconisations de monsieur Ouradou, les hôpitaux de la ville sont tous équipés depuis le début du mois, d’un jeu de quilles, d’un jeu de boules, d’un jeu de palet et d’un jeu de fléchettes.

Par ailleurs, les blessés gravement atteints peuvent suivre des formations adaptées comme celles inaugurées le 11 mai à l’école de commerce de Toulouse. La médecine pallie également dans une certaine mesure à leurs souffrances. Le professeur Pierre Delbet présente en ce mois à l’Académie de médecine une prothèse qui facilite la marche des personnes amputées d’une jambe.

Comme les blessés, les réfugiés arrivent en grand nombre. 200 personnes sont reçues à Villefranche-de-Rouergue le 1er mai, 500 à Toulouse le 5 mai, 250 à Auch le 15, d’autres encore le 26 à Montesquieu-Volvestre… Ils proviennent via la Suisse, d’Allemagne où ils étaient prisonniers où des départements du Nord évacués par l’armée. Les autorités estiment que la région toulousaine qui compte 6 000 réfugiés au 20 mai, peut en accueillir 15 000. Les municipalités rappellent aux habitants qui offrent le logis et le repas aux réfugiés qu’ils toucheront 0,75 F par jour et enfant de moins de 16 ans, 1 F jusqu’à 21 ans pour les jeunes hommes et les femmes et 1,25 F par homme

« Jules Sentenac pose entre deux soldats sur des brancards sur la terrasse du Caousou. Deux femmes se tiennent au chevet des blessés
« Jules Sentenac pose entre deux soldats sur des brancards sur la terrasse du Caousou. Deux femmes se tiennent au chevet des blessés et le soldat Lefèbre allongé sur le brancard de droite est amputé de la jambe droite, © Archives municipales de Toulouse, cote 75Fi15 

Conseils de guerre, censure et escrocs
Le conseil de guerre se réunit quatre fois en mai. Il juge les habituelles affaires d’insoumission, de désertion, de violences, de blessures volontaires, de refus d’obéissance, d’escroqueries, de vols et d’injures. Il est moins habituel qu’il juge une affaire de mauvais traitements infligés publiquement et abusivement à des animaux domestiques. Pourtant, en ce début de mois un soldat est accusé de frapper sauvagement les bêtes qu’il a sous sa responsabilité. Les premières condamnations tombent aussi sur ceux poursuivis pour avoir tenu des "propos alarmistes".

Pour cette raison, à cause d’"articles ou passage d’articles de nature à soulever l’opinion et à exciter le désordre", le journal "Le Quatrième" est saisi le 1er mai par l’autorité militaire qui le suspend à partir du 15 mai pour un mois.

De plus en plus d’affaires d’escroqueries apparaissent. Le 6 mai, la police arrête à Toulouse, trois individus venant de la Côte d’Azur qui échangent de faux billets de 20 F. Puis, de pseudo réfugiés se présentent le 16 mai chez un particulier et, avec de faux papiers de la mairie, obtiennent d’être nourris et logés pendant quelques jours jusqu’à ce qu’ils soient découverts et arrêtés. C’est aussi le cas de cet homme habillé en officier qui prend pension dans les hôtels de la région. Il termine son voyage le 17 mai à Carmaux, en prison. C’est enfin l’"escroquerie aux blessés". Un homme se présentant comme brancardier, apporte des nouvelles de blessés à leurs familles. Elles lui confient de l’argent qu’il doit leur remettre. Malheureusement pour lui, la dernière famille qu’il aborde a reçu les jours précédents des courriers de leur fils blessé. L’escroquerie est éventée et le personnage arrêté par les gendarmes.

Bonnes œuvres
Les œuvres sociales sont indispensables car elles obtiennent des résultats remarquables. La journée du "75" a rapporté dans l’Aveyron plus de 35 000 F et le Touring Club de France qui l’a organisée, déclare qu’il a reçu de la France entière plus de 5 millions de francs (5 354 849 F). Il a ainsi pu acheter 106 000 paquetages, chaussons de tranchées, sacs de couchages, culottes de velours, sous-vêtements, lampes électriques de poche, périscopes, bracelets montres, jumelles… aussitôt envoyés aux troupes.

Les soirées de bienfaisance comme à Gimont le 2 mai au profit des blessés succèdent aux concerts comme celui militaire de Montauban et les nombreuses souscriptions, quêtes… deviennent à la longue désagréables car le nombre d’œuvres est important. Parce que certaines personnes s’en plaignent et qu’il y a quelques abus, les autorités veulent règlementer les associations. Le préfet de l’Aveyron décide vers le 15 mai qu’aucune quête, souscription, organisation de journée ou vente sur la voie publique ne pourra avoir lieu sans une autorisation écrite.

Malgré cela, de nouvelles œuvres voient encore le jour. Celle de la "journée française" créée le 1er mai, a pour but de soulager la misère des populations envahies. Le 8 mai, "l’association nationale française pour la protection des familles des morts pour la Patrie" est également déclarée. C’est en mai aussi que l’association Valentin Haüy en faveur des aveugles étend son action aux aveugles de guerre.

TItre
Juin 1915
Corps

La bataille de l’Artois a débuté le 9 mai 1915 et se termine le 25 juin suivant. Les combats acharnés font de nombreuses victimes et les hôpitaux de la région reçoivent les blessés, 60 à Pamiers le 6 juin, 69 à Condom le 17 juin, 80 à Tarbes le 27…

La Suisse propose le 19 juin aux belligérants, de recueillir et soigner, moyennant contribution, 20 000 blessés des deux pays qui, dès qu’ils seront rétablis, seront renvoyés dans les camps où ils étaient internés.

Le gouvernement français poursuit la réorganisation industrielle du pays. Il décide le 10 juin de réaffecter à leurs anciens postes tous les personnels des arsenaux, ouvriers d’État, contremaîtres et ingénieurs qui sont mobilisés. Le président de la République, Raymond Poincaré, accompagné de son ministre de la Guerre, Alexandre Millerand, effectue de nombreux voyages dans le pays pour juger de l’état des usines et surtout mobiliser les énergies. Partis très tôt de Paris le 14 juin, ils arrivent à Tarbes le matin puis se rendent à Toulouse l’après-midi. Après avoir visité les arsenaux des deux villes et la Poudrerie à Toulouse qui était alors située rue des Récollets, ils rejoignent la capitale dans la soirée.

Agriculture
Juin est le mois des fenaisons et des récoltes des premiers fruits, les cerises. Des permissions de quinze jours sont à nouveau accordées pour aider aux travaux des champs. C’est d’autant plus nécessaire qu’à cause du manque de main-d’œuvre, la situation agricole est difficile : en Tarn-et-Garonne, entre 1914 et 1915, l’agriculture a perdu plus de 2 000 ha de blé d’hiver, 30 ha de méteil, 900 ha de seigle et 1 400 ha d’avoine, superficies qui ne sont pas compensées par l’augmentation de 1 790 ha d’orges. Aussi, le département aide-t-il la profession en regroupant les demandes de sulfate de cuivre pour traiter les vergers ou de charbon pour les battages à venir. L’État intervient également en autorisant les départements viticoles à se fournir de soufre auprès de l’Italie.

Enseignement, vie culturelle et sportive
Juin est également le mois des examens : le certificat d’études "pour toutes les écoles" se déroule le 15 juin à Fleurance dans le Gers et dans tous les autres chefs-lieux de cantons. C’est le mois du baccalauréat et les listes des admis seront publiées au début du mois suivant. Les examens et concours de fin d’année des différentes sociétés et écoles comme le Conservatoire à Toulouse se tiennent normalement et, à la fin du mois, les distributions annuelles des prix sont organisées, comme à Auch, selon le vœu du ministre de l’Instruction publique "en présence des blessés de guerre".

Le 2 juin, le célèbre ténor Léon Campagnola - Ecouter le disque Werther : Acte II. J'aurais sur ma poitrine - se produit devant les mutilés de guerre au Théâtre des Nouveautés à Toulouse.

Disque pour gramophone : Désolation de Werther « », Acte II chanté par monsieur Campagnola, Ténor de l’Opéra.
Disque pour gramophone : Désolation de Werther, Acte II chanté par monsieur Campagnola, Ténor de l’Opéra, © Gallica.bnf.fr

A partir du dimanche 14 juin, les sociétés de gymnastique, de préparation militaire et les Boy-scouts s’affrontent dans des concours d’athlétisme. Le départ d’un cross-country est donné au plateau de la Colonne à 8 h 30 et à 14 h, la foule vient supporter au Stade toulousain ses champions aux sauts en longueur et en hauteur ou à la perche, au grimper à la corde lisse, au lancer du poids ou du disque, aux courses des 100 m, 500 m et 110 m haies. Le concours reprend le 26 juin suivant.

Vie municipale
Sous la pression de la Ligue nationale contre l’alcoolisme, le gouvernement fait détruire des plans d’absinthe et s’engage le 21 juin à supprimer le privilège des bouilleurs de cru. Il faudra attendre 1959 pour que cet avantage ne soit plus transmissible. Les préfets interdisent alors toute boisson alcoolique "autre que le vin, la bière, le cidre, le poiré et l’hydromel" sur tous les chantiers publics. Ils limitent les horaires des débits de boissons aux militaires et les interdisent aux soldats en traitement à l’hôpital. Les cafés doivent fermer pour tous, du 30 juin au 21 septembre, à 23 h pour les communes de plus de 5 000 habitants, à 22 h pour les autres.

ffiche de Frédéric Cristol (1850-1933) mettant en garde contre les dangers de l’absinthe (1910).
Affiche de Frédéric Cristol (1850-1933) mettant en garde contre les dangers de l’absinthe (1910, © Wikimedia.org 

À l’approche de l’été et des grandes chaleurs, les municipalités rappellent, comme à Gaillac, les règlements sanitaires et préconisent la vaccination contre la variole et la typhoïde. Elles demandent à la population de déclarer le plus rapidement possible les cas de maladies contagieuses. Les statistiques sanitaires de Gaillac indiquent le 11 juin qu’il y a eu 43 décès dont 4 par fièvre typhoïde, 1 coqueluche, 5 tuberculoses, 2 cancers, 8 pneumonies, 6 "faiblesses séniles", 2 suite à des blessures de guerre et 1 suicide.

Localement, la pénurie de monnaie est toujours vive malgré les nouvelles émissions de coupures des chambres de commerce. Celles de l’Aveyron diffusent le 5 juin 300 000 F de coupures de 1 F et 0,50 F. Mais les affaires diminuent à cause de la guerre. Aussi, la ville de Villefranche-de Rouergue est-elle heureuse de retrouver sa physionomie de ville de garnison avec le retour des soldats partis en exercice au Larzac. Les affaires reprennent, les cafés se remplissent, le "Splendide Cinéma" ouvre à nouveau ses portes avec deux matinées et une soirée de gala.

Bonnes œuvres
Avec les nombreuses œuvres sociales ("l’Aiguille de la réfugiée", pour les ambulances italiennes, les réfugiés ardennais, "la journée française", pour les veuves et orphelins, les mutilés de guerre, "la Journée du 75", pour les captifs des 16e et 17e Corps, les blessés…), apparaissent les abus et tromperies. Les quêtes, concerts, tombolas, journées, spectacles sont quasiment quotidiens et l’argent récolté est parfois important. Les maires rappellent donc à la population que seules les personnes munies d’autorisations peuvent quêter sur la voie publique. Deux nouvelles œuvres sont encore créées à la fin juin, celle dédiée aux "Orphelins de la guerre" et "L’Association nationale pour la protection des familles des morts pour la patrie" qui a pour but de porter une assistance morale et juridique aux familles.

L’industrie de la dentelle d’Irlande et de Valenciennes s’exerçait dans le Nord. Mais après leur évacuation, les dentellières réfugiées à Toulouse, sous couvert de leur association, décident d’ouvrir à la mi-juin une école dans la capitale régionale dans le but de développer cette industrie dans le Midi. Dans le Tarn, on dénombre le 14 juin, 5 624 réfugiés, la majorité française venant du Nord et 1 050 de Belgique.

Approvisionnement
Afin de déjouer les manœuvres de la spéculation sur le blé et d’assurer l’alimentation des armées et de la population jusqu’à la prochaine récolte, les préfectures demandent aux maires de recenser les blés pour procéder à leur réquisition. Le pain étant à la base de l’alimentation et les réquisitions de blé étant insuffisantes, le gouvernement en importe. Il informe par exemple le Conseil général du Gers de l’arrivée, le 5 juin, d’une cargaison à Bordeaux au prix de 32 F le quintal. Pour éviter toute hausse, les préfets et les maires réglementent le prix des farines et du pain. Ayant reçu 400 000 kg de farines, le maire de Villefranche-de-Rouergue décide que celle blutée à 65% sera vendue à 56 F les 122 kg et le pain ordinaire de ménage à 0,40 F le kg. Mais les consommateurs se plaignent souvent de tromperies sur le poids et du nombre trop faible de boulangers. À Toulouse, la population de Saint-Michel a fortement augmenté car les ouvriers de la Poudrerie sont de plus en plus nombreux. Aussi la municipalité intervient-elle en créant le 12 juin deux dépôts de pain ouverts dans ce quartier et dans celui proche de Saint-Agne.

Prenant exemple du pain, le sénateur du Nord, Debierre, demande, en vain, à l’État d’appliquer les mêmes mesures afin de faire cesser la spéculation sur le sucre vendu alors 1,15 F le kg. Le 5 juin, il est dans l’Aveyron à 1,25 F le kg.

L’approvisionnement du gaz est de plus en plus difficile, les coupures de plus en plus fréquentes et le produit de très mauvaise qualité. De plus, dans de nombreuses villes de la région comme à Montréjeau, son prix augmente vers le 30 juin, de 28 cts à 47 cts le mètre cube malgré les réactions des consommateurs.

À la décharge des communes, l’administration locale rencontre des difficultés dues à l’absence des agents et des conseillers municipaux mobilisés. À Villefranche-de-Rouergue, 5 conseillers sur 21 sont au front. Aussi, l’État légifère-t-il afin que ceux en poste puissent continuer à siéger.

Nos soldats
Au début du mois, l’autorité militaire informe les parlementaires du montant des dépenses militaires qui sont passées de 850 millions à près de 1 900 millions par mois. Elle rend compte de la distribution de plus de 33 000 croix de guerre. À Gaillac, le 25 juin à 9 h, sur la place Dom Vaissète, le chef de bataillon passe en revue les troupes qui forment le carré. Il fait ouvrir le ban, adresse une allocution chaleureuse aux deux sous-lieutenants cités à l’ordre de l’armée et leur remet à chacun la croix de guerre. Les troupes défilent par section "avec une régularité remarquable", tambours et clairons composent la musique militaire.

L’armée renvoie dans leurs foyers les militaires des classes 1887 et 1888, âgés de 46 ans et plus. La classe 1916, encore en cours d’instruction, est rejointe à la fin du mois par les premiers conscrits hindous et indochinois qui débarquent à Marseille du paquebot "Euphrate" et les conseils de révision de la classe 1917 sont organisés. Localement, ils se déroulent toujours avec le même cérémonial : les jeunes conscrits se réunissent au café, passent ensuite devant les médecins puis le banquet est à 12 h, suivi du digestif, de la promenade, du tirage au sort du drapeau et à 18 h 30 de la dernière réunion encore au café. À l’Isle-Jourdain, sur 64 conscrits de la classe 1917, 32 sont jugés bons, 24 ajournés, 4 exemptés, 1 services auxiliaires et 3 renvoyés au 24 juillet.

Ouvriers Indo- Chinois et militaires français dans un atelier de l’Arsenal de Toulouse.
Ouvriers Indo-Chinois et militaires français dans un atelier de l’Arsenal de Toulouse. 1 place Anatole France, 21 rue Valade et 12 rue de la Boule, © Ville de Toulouse, Archives municipales, cote 9 Fi 4939

Le 16 juin, l’armée informe de l’évolution de l’équipement du soldat. Ayant observé le nombre important de blessures à la tête, elle avait décidé en février de munir les militaires d’une calotte d’acier qui s’est avérée peu efficace. Elle est remplacée dès juin par la "bourguignotte" ou casque Adrian, en tôle d’acier et peint en bleu clair. Symbole de la Grande Guerre, il porte devant, la grenade pour l’infanterie, le cor de chasse pour les chasseurs à pied, deux canons croisés pour l’artillerie ou la cuirasse et le pot pour le génie.

Collection de casques Adrian.
Collection de casques Adrian, © Wikimedia.org

Souvenir et mémoire
Dès le début de la Grande Guerre, nombreuses sont les communes qui ont suivi l’exemple de la ville de Toulouse : elle avait débuté en septembre 1914, le Livre d’or municipal. En juin, c’est au tour de Gimont, Auch, Rodez… Lectoure, dans le Gers, est probablement la première commune de la région à décider de faire graver les noms des morts sur une plaque de marbre érigée dans l’église. À Cahors, l’administration des tabacs inscrit le nom de ses agents morts sur une plaque fixée dans une des salles de la direction.

Le mouvement mémoriel prend une grande ampleur dans les collèges et lycées. À la demande du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, de nombreux établissements comme à Saint-Gaudens, Gaillac, Foix, Lectoure… dressent les livres d’or des agents, fonctionnaires et anciens élèves morts pour la France. À Auch, il est annoncé le jour de la distribution solennelle des prix.

Les artistes s’engagent dans le domaine de la mémoire : le statuaire toulousain, René-Jean Besson, propose ses services pour sculpter des bustes en plâtre, terre cuite, marbre, bronze à partir de photographies. Il garantit la "ressemblance […] à la photographie". Le moissagais Firmin Bouisset, alors célèbre auteur d’affiches, propose "une œuvre permettant aux municipalités et aux associations d'acquitter la dette de reconnaissance contractée envers tous nos morts et de glorifier leur mémoire". La librairie Nathan diffuse l’estampe de la France s’inclinant en pleurant sur le tombeau, son coq se hérissant et claironnant Sursum Corda (élevons nos cœurs).

Disparition des corps au front
Depuis le début du conflit, les soldats entourés de cadavres, utilisent autant que possible un désinfectant à base de crésol pour éviter les épidémies. En juin, les députés débattent de la solution qui consiste à incinérer les corps sur les champs de bataille. Ils décident que "tous les soldats morts sur le champ de bataille et non identifiés [doivent être] incinérés" alors que "tous les corps des soldats français ou alliés identifiés seront inhumés suivant les prescriptions règlementaires". Le 18 juin, la commission spéciale chargée de la question de l’incinération sur les champs de bataille rend compte de ses travaux. Elle relate les expériences menées à partir de deux fosses de "forme de pyramide rectangulaire tronquée renversée" et conclut que l’opération est "réalisable sur place avec des moyens de fortune" même si le "dispositif utilisé peut être notablement amélioré" pour économiser le bois. Bien sûr, l’émotion populaire est grande et la réaction vive car l’absence de corps rendant le deuil inachevé, les familles ont l’espoir, "plus tard", de recueillir les dépouilles des leurs. Les lettres de protestations et les pétitions se multiplient rapidement et leur nombre traduit le profond traumatisme subi sur la question de l’incinération.

Surveillance et censure
La surveillance et le contrôle en temps de guerre sont exercés sur la société et en premier sur les étrangers. Les préfectures demandent le 3 juin aux maires de leur retourner les listes mises à jour des ouvriers agricoles espagnols sur leur territoire et la police et la gendarmerie effectuent des contrôles dans les gares, dans les hôtels et auberges. Quant aux réfugiés belges et français, ils ne doivent pas s’éloigner à plus de 10 km de leur lieu de résidence sans sauf-conduit.

La circulation de chaque Français non réfugié est libre à pied, à cheval ou à bicyclette, dans la zone de l’intérieur. Le sauf-conduit est obligatoire lors de parcours de plus de 150 km en automobile ou motocyclette ou lorsque la voie ferrée emprunte les départements frontaliers. Le document doit indiquer la description du porteur, son but et son itinéraire. Français et étrangers ne doivent être possesseurs d’un passeport que lors de la sortie du territoire.

Les biens détenus par des étrangers sont mis sous séquestre comme le 7 juin, la fabrique de machines d’imprimerie à Auch appartenant à Freid Koese ainsi que 10 autres maisons allemandes le 16 juin dans le Gers.

Par ailleurs, les parties non imprimées dans les journaux témoignent de la grande activité des censeurs qui peuvent interdire momentanément toute parution. Même l’Église est touchée car une partie de la Lettre pastorale de Mgr l’Archevêque sur la"consécration de la France au Sacré-Cœur" est censurée.

Parfois son application interroge : le 25 juin, le Courrier de l’Aude se voit interdire d’informer ses lecteurs de la pétition contre les incinérations mise à leur disposition dans ses locaux au seul motif que l’information va "à l’encontre de l’Union sacrée". Cette information est pourtant publiée depuis quelques jours dans d’autres journaux régionaux.

TItre
Juillet 1915
Corps

En créant le 2 juillet 1915, la mention "Mort pour la France", la Nation témoigne de sa reconnaissance envers ses soldats morts. La loi est appliquée rétroactivement à partir du 2 août 1914 à tout civil ou militaire ayant donné sa vie pour le pays et la mention doit être portée dans les registres communaux, en marge de l’acte de décès.

14 juillet
Le 14 juillet 1915, l’État organise le transfert des cendres de Claude Joseph Rouget dit de L’Isle (1760 – 1836) officier français et auteur de La Marseillaise. Exhumés du cimetière de Choisy-le-Roi la veille, ses restes sont transférés le matin en cortège à l’Arc-de-Triomphe. Le président de la République, Raymond Poincaré, entouré de nombreuses personnalités, se joint au cortège qui se dirige ensuite aux Invalides. Après le discours présidentiel, la foule défile devant le cercueil et les troupes rendent les honneurs. À 17 h, la dépouille est déposée dans la crypte de l’église Saint-Louis.

Aux Invallides à Paris (75), transfert des cendres de Claude Joseph Rouget dit de L’Isle (1760 – 1836).
Aux Invallides à Paris (75), transfert des cendres de Claude Joseph Rouget dit de L’Isle (1760 – 1836), © Gallica.bnf.fr 

Au début du mois, le ministre de la Guerre décide d’annuler la revue du 14 juillet et demande aux maires de verser aux œuvres de guerre les sommes habituellement attribuées ce jour-là aux banquets, bals, illuminations, feux d’artifice… De nombreuses villes de la région, Auch, Foix, Castres… limitent les festivités en pavoisant seulement leurs monuments et bâtiments publics. Mais la distribution de bons de pains et de vin aux indigents est généralement maintenue. À Toulouse, la journée débute à 10 h par la visite aux tombes des morts et la municipalité améliore l’ordinaire des hôpitaux, distribue des paquets de cigarettes et donne gratuitement des représentations théâtrales. À 18 h, l’hymne des nations alliées est joué au Capitole en présence des consuls de Belgique, de Grande-Bretagne et d’Italie. Toute la journée des quêtes en faveur des "Orphelins Toulousains de la guerre" sont effectuées.

L’agriculture
Favorisées par une belle température, les moissons battent leur plein même si les rendements en blé s’avèrent moins importants que les années précédentes car les intempéries ont sévi les mois précédents. Les arrêtés préfectoraux réglementent les tarifs des battages : l’entrepreneur ne peut pas demander plus de 0,80 F par hectolitre de tout grain à battre, les ouvriers ne peuvent recevoir plus de 5 F par jour et les femmes plus de 3 F, sans compter la nourriture. Dans le Gers, les entrepreneurs de battage doivent tenir un carnet de moissons dans lequel ils consignent chaque jour et par commune la nature et la quantité de récolte qu’ils auront battue. Mais la main-d’œuvre étant rare, les préfets étendent les permissions militaires agricoles à tous "ceux habitués aux travaux manuels". Dans le Tarn-et-Garonne, des congés sont accordés aux cantonniers pour qu’ils participent aux travaux des champs et l’armée prête même ses chevaux.

Le 22 juillet, le ministre de l’agriculture diffuse les résultats du recensement du troupeau français : au 1er juillet, la France compte 12 286 849 bovins et 13 433 180 ovins.

Enseignement, vie culturelle et sportive
Juillet est le mois des résultats des examens, celui du baccalauréat, des concours des écoles d’art (chant, opéra-comique, déclamation, musique, solfège, instruments…). C’est le mois des remises des prix et des différentes distributions de récompenses municipales. C’est aussi le temps des vacances scolaires. Comme dans l’Ariège, elles débutent le 31 juillet et les cours reprendront au 1er octobre. Mais de nombreuses familles, celles des mobilisés, sont dans l’impossibilité de s’occuper de leurs enfants en cette période difficile. Aussi, les préfets demandent-ils aux maires d’organiser des garderies pendant les vacances scolaires pour "éviter le vagabondage des petits".

Vie municipale
Parmi les nombreuses missions des communes, celles de contrôles (contrôles économiques, contrôles des étrangers…) sont, en ces temps difficiles, les plus importantes. Les contrôles qui portent sur la qualité des produits sont les plus visibles : une laitière qui a pratiqué le "mouillage" du lait alors interdit, est condamnée à 48 h de prison avec sursis et 100 F d’amende. Pour les mêmes raisons, un négociant de vin est puni de 24 h de prison et 600 F d’amende. À Lunel, dans l’Hérault, un fabricant d’absinthe est arrêté et condamné à 180 000 F et à la confiscation de la marchandise illicite. Les communes doivent également contrôler les vitesses des automobiles : à Albi la vitesse est limitée à 12 km/h et les conducteurs ont l’obligation de s’arrêter aux octrois.

Les municipalités supportent surtout le poids de la guerre : la ville d’Albi a compté que la mobilisation lui a coûté 10 885,93 F du 2 août 1914 au 1er juillet 1915. La consommation d’eau a par exemple fortement augmenté à cause de la présence de réfugiés et de blessés toujours plus nombreux. Le service des eaux de Toulouse évalue cette augmentation à 40 000 m3 chaque jour pour les seuls hôpitaux temporaires. Et en période estivale, le manque d’eau se fait sentir : comme d’autres, le maire de Condom interdit le 25 juillet, l’arrosage des jardins ou l’abreuvage des animaux aux fontaines de la ville. Mais avec les fortes chaleurs, le nombre de noyades augmente et toutes les mairies sont touchées malgré les interdictions qu’elles prennent comme à Lavaur, Gaillac, Montauban… Cette dernière municipalité décide à la fin du mois de mettre à la disposition de la population une baignade surveillée par un agent de police. Située sur la berge sud de l’île de Sapiac, elle est ouverte tous les jours à partir du 1er août "pour les civils munis d’un caleçon de bain de 5 à 8 h et de 18 à 20 h".

Le nombre des "sans domiciles fixes" et des vagabonds augmente significativement et Albi encore, déclare le 27 juillet qu’au premier semestre, le bureau d’assistance de la Ville a secouru 536 personnes nécessiteuses et 130 réfugiés. Rodez informe, le 16 juillet, qu’elle recevra à l’établissement de Vabre quelques orphelins de guerre âgés de 6 à 12 ans à condition qu’ils soient aveyronnais.

Nos soldats
Nos soldats au front accueillent avec enthousiasme les "quatre jours". C’est la première permission accordée par l’armée depuis le 2 août 1914. Limitée à quatre jours, elle est définie dans une circulaire qui fixe le pourcentage des permissionnaires par régiment et les conditions de priorité : peuvent partir ceux qui ont six mois de front, ceux décorés de la croix de guerre ou de la Légion d’honneur et les pères de 5, 4, 3, 2 enfants puis les autres. Les trajets étant compris dans les quatre jours, des familles proches du front acceptent d’accueillir, de loger et nourrir les soldats sans familles et ceux dont les proches sont éloignés des combats.

Mais la troupe n’est pas qu’au front. Des soldats sur le territoire national sont en formation : comme à Villefranche-de-Rouergue, 120 hommes à peine formés quittent cette ville le 3 juillet pour aller combattre. D’autres soldats participent au maintien de l’ordre : aux ateliers de sellerie de Tarbes, une centaine d’ouvriers espagnols arrête le travail et menace les contremaîtres. Le 14 juillet, la troupe et les gendarmes interviennent et les ouvriers frondeurs sont arrêtés et licenciés. À la fin du mois, nos soldats étouffent rapidement une tentative de grève au transpyrénéen. Les ouvriers demandaient une augmentation de salaire à l’entreprise Escoffier.

Les blessés
Albi a calculé que du 7 septembre 1914 au 3 juillet 1915, 13 883 blessés, malades ou convalescents ont été hospitalisés dans les hôpitaux de la ville. Au 3 juillet, 602 militaires sont soignés mais depuis, les convois ont augmenté ce nombre : 404 blessés sont arrivés au début du mois et le nouvel hôpital n°54 fonctionne depuis le 12 juillet. Castelnaudary, dans l’Aude, compte 559 lits dans les divers hôpitaux de la ville et les associations distribuent 337,50 F par lit, l’hôpital temporaire n°12 (caserne Saint-François) avec 312 lits étant le plus important.

Les blessés handicapés commencent à être pris en charge par des écoles spécialisées nouvellement créées. À Toulouse, à l’hôpital n°29, ils apprennent depuis peu à concevoir des boîtes à outils, des petits bancs, des cadres à photos, des brouettes d’enfants, des bagues en aluminium… Avec le travail du bois, ils se forment à celui du cuir.

L’accès à certaines professions leur est facilité : le concours de préposé des contributions indirectes qui doit avoir lieu le 30 août prochain, est exclusivement réservé aux mutilés de guerre.

Bonnes œuvres
Pour aider les blessés, les nécessiteux, les familles, les réfugiés, les orphelins de guerre… les associations d’entraide sont toujours actives : un festival kermesse est organisé au bénéfice des mutilés au Ramier toulousain avec des chants et un concert toute la journée. Bagnères-de-Luchon décide que deux concerts quotidiens seront donnés à partir du 1er août au kiosque des Quinconces.

Des journées à thèmes sont également programmées. Lors de "la journée française" des 23 et 24 mai derniers, 27 874,70 F ont été recueillis en Aveyron. Les aides autres que pécuniaires sont également mises en place : la famille du soldat, les marraines de guerre apportent alors du réconfort aux soldats par des lettres, des colis. Une nouvelle œuvre voit le jour en juillet, la "Croix tricolore". Elle a pour objectif de trouver une situation aux militaires réformés.

Des associations s’implantent dans tous les domaines notamment aux funérailles des soldats. Mais les autorités demandent le 23 juillet à la population de ne pas participer aux obsèques de tirailleurs africains qui, selon le rite musulman, se déroulent dans un certain isolement et excluent la présence de femmes.

Situation économique
Le 4 juillet, le ministère du travail diffuse une enquête de ses services qui porte sur la vie industrielle et commerciale française après onze mois de guerre. Le nombre d’établissements en activité a baissé depuis le début de la guerre mais le nombre de chômeurs a fortement diminué dans ces derniers mois. La perte d’ouvriers due à l’incorporation des mobilisés a été vite compensée par l’utilisation de travailleurs qui exerçaient d’autres métiers avant la guerre et par la main-d’œuvre féminine et celle des jeunes garçons, des jeunes filles et des vieillards qui, à la ville comme à la campagne, dans le commerce et l'industrie comme dans l'agriculture, ont suppléé les absents. Notre Sud-Ouest a fait appel à la main-d’œuvre étrangère, espagnole surtout.

La baisse de la production dans l'industrie du vêtement pour civils est largement compensée par la demande d’uniformes pour nos soldats. Mais l’industrie hôtelière est parmi celles qui souffrent le plus et qui souffriront jusqu'à la fin de la guerre. C’est également le cas pour les banques, les compagnies d'assurances et l’ensemble des professions qui vivent du bâtiment. Dans ce secteur, le nombre de chômeurs est élevé même si parfois les commandes de l’armée sont les bienvenues : à Pamiers la décision est prise, le 15 juillet, de construire une voie ferrée entre l’usine métallurgique dans laquelle sont fabriquées des munitions et la gare.

Ouvriers de l’usine Pelous, usine de fabrication d’obus.
Ouvriers de l’usine Pelous, usine de fabrication d’obus, © Collection privée Jérôme Bonhôte

Mémoire
Le travail de mémoire qui a débuté dès les premiers mois de la Grande Guerre par l’établissement de listes de morts dans les institutions et les collectivités, se poursuit. Le 17 juillet, le conseil municipal de Gaillac décide de réserver une place au nouveau cimetière pour élever un monument commémoratif "à ses victimes du devoir" et le collège de Condom ouvre un Livre d’or des anciens élèves et fonctionnaires morts au combat comme le fait le lycée de Foix.

Extrait du registre de décès de La Bastide-de Sérou (09).
Extrait du registre de décès de La Bastide-de Sérou (09), © Gabriel Amardeilh porte en marge la mention. 
TItre
Août 1915
Corps

Il y a un an débutait la Grande Guerre : le lundi 2 août 1915 est le 365e jour du conflit. 

L’Italie qui avait rejoint la Triple-Entente en mai 1915, déclare la guerre le 21 août à l’Empire Ottoman.

On apprend par ailleurs que l’autorité allemande interdit l’utilisation du français dans les territoires qu’elle occupe, notamment à Strasbourg.

Agriculture
En ce début d’août, les premiers résultats des récoltes tombent : en plaine du Tarn, les quantités de blé sont déplorables et inférieures à la normale sur les coteaux, les rendements étant d’environ 6 à 12 hectolitres par hectare. L’Officiel agricole, organe de presse spécialisé, fait état des cultures en Tarn-et-Garonne. Il définit les rendements par des nombres allant de 80 pour "bon" à 30 pour "médiocre". Les topinambours et les betteraves sont à 80 ainsi que les prairies, le maïs et la pomme de terre à 70, les vignes à 40 et les fruits de table à 30. Le département du Gers juge satisfaisante seulement la moisson de blé, les autres récoltes ayant donné des moyennes inférieures au niveau régional.

De fait, il faut rapidement terminer les battages des blés, avoines et orges, bien avancés. Les prisonniers allemands participent activement à ces travaux. Arrivés par exemple le 2 août à Villefranche-de-Rouergue, ils en partent le 15, rejoindre la ville de Cordes où ils sont attendus avec impatience.

En prévision des prochains travaux des champs et des futures récoltes, les directeurs des services agricoles comme celui du Tarn, sur ordre de leur direction, sillonnent leur département et conseillent. Ils forment par des conférences, les agriculteurs sur les semailles d’automne et du printemps, sur les nouvelles pratiques, sur le choix des céréales à cultiver…

Enfin, le 17 août, le ministère de l’agriculture informe que la chasse ne sera pas ouverte cette année non plus, hors les chasses administratives "aux nuisibles".

Culture et sport
L’annonce de la venue de Mistinguett, alors célèbre chanteuse et actrice française, suscite un certain engouement. Venant de Paris, elle se produit le 19 août au théâtre des Nouveautés à Toulouse.

Affiche de Mistinguett signée Daniel de Losques. Bibliothèque nationale de France,
Affiche de Mistinguett signée Daniel de Losques. Bibliothèque nationale de France, © wikimedia.org

Deux autres évènements culturels d’importance sont annoncés. La toile de Jean-Paul Laurens, les "Jeux Floraux", peinte à Paris, vient de partir de cette ville le 5 août pour Toulouse où elle sera marouflée sur les murs du grand escalier du Capitole.

Les Jeux Floraux, toile de Jean-Paul Laurens peinte à Paris et reçue à Toulouse en juillet 1915.
Les "Jeux Floraux", toile de Jean-Paul Laurens peinte à Paris et reçue à Toulouse en juillet 1915.

À la cathédrale de Montauban, les travaux de restauration du grand orgue, qui date de 1675, ont repris ces derniers jours sous la direction de la maison Puget de Toulouse. Ils avaient été interrompus en août 1914. Avant d’être dans la cathédrale qui date de 1739, ils étaient dans l’église Saint-Jacques.

Vie municipale
Narbonne publie le 4 août la statistique sanitaire concernant les causes de la mortalité communale pour le mois de juillet : 4 fièvres typhoïdes, 1 scarlatine, 1 diphtérie, 8 tuberculoses des poumons, 3 autres tuberculoses, 2 cancers, 1 méningite, 7 "ramollissements du cerveau" et hémorragies, 1 maladie organique du cœur, 2 bronchites aigües, 6 diarrhées et entérites, 1 néphrite, 1 débilité congénitale, 5 sénilités, 2 morts violentes et 1 suicide.

Le bureau de bienfaisance de la ville de Toulouse indique un nombre stable de familles assistées, 4 891 en 1913 et 4 877 en 1914 mais la dépense moyenne a augmenté de 32,62 F par famille en 1913 à 50,12 F en 1914.

Le conseil d’arrondissement de la même ville décide le 16 août l’achèvement de la ligne de tramway reliant Toulouse à Castelginest et souhaite entreprendre celle allant jusqu’à Launaguet et l’assainissement du canal de Lalande.

Les municipalités rappellent enfin que les taxes sur les chiens doivent être payées et qu’ils doivent porter une médaille d’identité sous peine d’être capturés par la fourrière. Elles craignent le développement de la rage favorisé par les fortes chaleurs. Le problème prend de l’importance à tel point que, vers le 20 août, des villes comme Toulouse et Auch, prennent des arrêtés informant la population qu’en raison de la recrudescence de la rage, tout chien non muselé ou non tenu en laisse sera capturé et abattu après une période d’observation de 24 h.

Économie
Les versements de l’or des particuliers continuent d’affluer dans les caisses de l’État car il faut bien financer l’effort de guerre et 307 500 F sont recueillis à Albi du 3 au 31 juillet. Au 7 août le département de la Haute-Garonne verse 2 359 000 F.

Reçu de la Banque de France de cent francs en or par monsieur Gouin le 8 mai 1915.
Reçu de la Banque de France de cent francs en or par monsieur Gouin le 8 mai 1915, © www.europeana1914-1918.eu 

Parce que notre pays ne peut plus compter sur les mines du Nord, les industries extractives sont développées sur le reste du territoire. La commission des Mines de France est passée à la fin de juillet pour inspecter les mines de la région. Son intention est d’intensifier la production nationale de charbon. Le 22 août, elle rend compte de cette inspection et soulève quelques problèmes notamment à Carmaux. Malgré l’arrivée prochaine de main-d’œuvre annamite, elle reconnait qu’il sera difficile de fournir les importantes quantités de charbon demandées.

Nos soldats
En août, les casques Adrian, du nom du sous-intendant militaire Louis Adrian, sont distribués au front en grand nombre, 25 000 quotidiennement. Avec l’uniforme bleu-horizon, l’armée équipe et protège les soldats et s’adapte aux nouvelles conditions de combats et aux nouvelles armes. Elle crée sur le front plus de 200 laboratoires mobiles de toxicologie chargés de prévenir les attaques de gaz et de contrôler les points d’eau qui pourraient être empoisonnés… Elle avait également crée au printemps 1915 la section photographique des armées dont le secret des photographies est la norme.

Documents de la section photographique de l’armée française.
Documents de la section photographique de l’armée française, © Galica.bnf.fr

Parfois, les recherches aboutissent à des résultats malheureux. C’est le cas pour les chevaux aux robes claires. Afin de les rendre moins visibles de l’ennemi, ils sont couverts d’un produit, le permanganate de potassium. Leur robe devient sombre. Mais il s’avère que le traitement est "légèrement toxique" ; la pratique cesse donc et les expérimentations se poursuivent.

Nos blessés
Après une relative accalmie, de nouveaux convois de blessés arrivent dans notre région, plus de 200 à Carcassonne le 2 août, autant pour la ville de Lectoure qui reçoit en plus des malades. Albi informe que, du 7 septembre 1914 au 6 août 1915, 15 165 soldats ont été soignés dans les hôpitaux de cette ville.

Bonnes œuvres
Le nombre d’œuvres de bienfaisance s’accroît de mois en mois, la dernière date d’août et son objectif est de recueillir des dons qui serviront à réparer les églises ruinées. Des malversations et détournements s’étant produits au cours des innombrables quêtes, les préfets décident qu’à partir du 2 août, toute personne qui veut quêter dans les rues, doit présenter une autorisation spéciale et porter un brassard au bras. L’autorisation est à demander aux autorités 40 heures avant la date fixée. Elle doit comporter les informations suivantes : la photographie et l’identité du pétitionnaire, l’indication de l’œuvre, de la localité, des voies, places ou établissements visités. Le cachet de la préfecture ou de la sous-préfecture doit figurer sur le brassard. Les personnes qui placent des troncs dans leurs magasins, entrepôts… lors de kermesses, de concerts ou de festivals sont engagées à suivre la même procédure.

Mais le nombre de bénéficiaires est de plus en plus élevé. Malgré les quêtes quasi quotidiennes et les nombreux dons, les stocks s’épuisent et les premières œuvres touchées sont celles en faveur des réfugiés belges : elles cessent, pour un temps, les distributions. Pour les œuvres qui envoient des paquets aux soldats, l’armée informe les associations et les familles que les colis ne doivent pas contenir d’alcool.

Préfectures
En ce début d’août, le tribunal de police de Toulouse condamne cinq prêtres à une amende de 5 F chacun. Les procès-verbaux pleuvent dans cette ville comme à Pamiers le 21 août et ailleurs car depuis le début de la Grande Guerre les représentants et associations de l’Église catholique font œuvre de prosélytisme. Ils diffusent des images pieuses, des statuettes, des drapeaux avec des emblèmes religieux tel le Sacré Cœur du Christ. Aussi, les préfets ont-ils pris un arrêté interdisant tout emblème sur les drapeaux tricolores.

Le préfet de la Haute-Garonne déclare la guerre aux accapareurs car une enquête de ses services révèle que d’août 1914 à août 1915, 550 718 kg de volailles ont été achetés dans notre région et exportés alors qu’il n’y en avait que 79 855 entre août 1913 à août 1914. Il demande le 15 août aux maires du département de prendre des arrêtés contre les personnes qui font commerce d’exportation. Leurs affaires causent un lourd préjudice aux populations locales qui ne trouvent plus de volailles.

Enfin, parce que les jeunes gens sont de futurs soldats, le préfet demande aux maires de favoriser, créer et maintenir les sociétés de gymnastique et de tir. Ces sociétés forment les jeunes à l’endurance et il faut qu’ils soient entraînés aussi bien au point de vue moral qu’au point de vue physique.

Affaire Desclaux
En février 1915 éclatait l’affaire Desclaux, du nom du trésorier payeur aux armées François-Eugène-Baptiste Desclaux, accusé de "recel de denrées alimentaires, de munitions, d’armes appartenant à l’État et de détournements". Arrêté, il avait été jugé coupable. Le 2 août 1915, la cérémonie de dégradation de ce militaire se déroule dans la cour d’honneur de l’école militaire à Paris. Portant son uniforme de lieutenant-colonel avec la croix de la Légion d’honneur, François Desclaux écoute la lecture du jugement lue par un capitaine-greffier. Puis un sergent s’avance et arrache la décoration militaire puis les boutons, découd les galons, tire et brise l’épée et jette le fourreau et le ceinturon au sol. Le coupable défile le long des rangs des soldats, tête nue et sort de l’école militaire. Il entre dans un fourgon cellulaire et est conduit en prison. La cérémonie a duré sept minutes.

TItre
Septembre 1915
Corps

En septembre, les Alliés soupçonnent une entente secrète entre la Bulgarie et les empires centraux. D’après cet accord, si ce pays déclarait la guerre à la Serbie et à l’Entente, il obtiendrait la Macédoine et un débouché sur l’Adriatique. Le 23 septembre, la Bulgarie mobilise son armée.

Sur le front, les offensives de Champagne (2e bataille) et d‘Artois débutent le 25 septembre. Elles se solderont par un échec le 9 octobre suivant.

Agriculture
En septembre, mois des vendanges, le besoin de main-d’œuvre est important. Aussi, les sociétés de chemin de fer facilitent-elles les transports en accordant des tarifs réduits aux groupes de 5 vendangeurs au minimum qui partent pour la même destination. L’armée quant à elle, étend les permissions agricoles d’automne aux viticulteurs mobilisés, aux maréchaux-ferrants, forgerons et mécaniciens réparateurs de machines agricoles. Tant que les vendanges ne sont pas terminées, l’autorité municipale interdit d’entrer dans les vignes soit pour prendre des herbes, soit pour le grappillage, c’est-à-dire la possibilité pour chacun de venir prendre les derniers grains de raisin. Par exemple, Béziers limite le grappillage au 23 septembre uniquement, aux seuls indigents et à leur seule consommation. Le maire autorise ensuite par arrêté municipal comme à Narbonne ou Carcassonne, l’entrée des bestiaux dans les vignes. Les viticulteurs s’attendent cette année à une faible récolte.

Convoi de vin sur une voie ferrée Decauville.
Convoi de vin sur une voie ferrée Decauville, © commons.wikimedia.org 

C’est également le cas pour la production de la pomme de terre dans le Gers. Dans ce département, en prévision des semailles d’automne, le préfet fixe le salaire moyen d’un ouvrier agricole à 2,50 F par jour alors que les permissionnaires sont payés au minimum 2 F par jour. Les prisonniers allemands participent également aux travaux agricoles comme le groupe d’une vingtaine qui passe de fermes en fermes autour de Fleurance (Gers). Souhaitant pallier par la mécanisation le manque de main d’œuvre, l’État intervient en subventionnant les groupements agricoles qui achèteraient des appareils à moteur destinés à la culture mécanique.

La France a produit en 1914, 79 300 millions de quintaux de blé et doit donc en importer 15 782 millions pour faire face à sa consommation. Aussi, pour augmenter la production, le gouvernement incite-il les propriétaires agricoles à travailler la moindre parcelle. Mais il est confronté à la défection de nombreuses familles d’agriculteurs mobilisés. Éprouvant les pires difficultés à exploiter leurs terres, beaucoup veulent abandonner leur exploitation et s’établir en ville où les conditions de vie sont plus faciles. Les préfets demandent aux commissions locales chargées de l’application de la loi du 5 août 1914 qui concerne les allocations militaires, d’aider ces familles à rester. Pour les mêmes raisons, il menace les métayers et fermiers qui comptent partir vers la ville et qui reçoivent ces secours, de les perdre par leur départ.

Enfin, "le bois de noyer étant absolument nécessaire pour la confection des bois de fusils et des hélices d’avions", l’autorité militaire en recherche dans l’urgence chez les professionnels (scieries, menuiseries, saboteries…) et chez les particuliers. Elle souhaite rapidement réquisitionner cet article.

Administration locale
L’état de siège décrété le 2 août 1914 est partiellement levé le 1er septembre car le conseil des ministres restitue alors tous les pouvoirs de police, de maintien de l’ordre et de réglementation de la circulation avec la surveillance des routes, voies navigables et voies ferrées aux préfets et maires, en dehors de la zone des armées.

Mais l’armée peut continuer les réquisitions et les visites de jour et de nuit dans les domiciles des citoyens, imposer l’éloignement des repris de justice, l’enlèvement des armes et munitions des personnes et l’interdiction des publications et réunions qu’elle juge de nature à entretenir le désordre.

Dans notre région, les municipalités font face aux nombreux problèmes concernant l’éclairage public comme à Bagnères-de-Bigorre, Narbonne. À Gaillac, le concessionnaire cède l’usine à gaz à la commune pour 93 750 F, achat couvert par un emprunt.

Les municipalités anticipent parfois les problèmes à venir. Toujours à Gaillac, en prévision des difficultés d’approvisionnement en charbon, le maire demande de faire des provisions dès ce mois. D’autres élus font appel à l’armée : parce que la canne de bois atteint la somme de 45 à 50 F, Narbonne, Toulouse et d’autres villes demandent aux autorités militaires de réquisitionner le bois qui sera revendu au même prix aux particuliers.

Malgré le manque de personnel, chaque ville prépare de son mieux la mauvaise saison et à Foix les fossés sont curés pour assurer l’évacuation des eaux.

Conséquence de la guerre, les municipalités ont également à gérer de nouvelles charges : à Toulouse, une nouvelle cité vient de naître, "l’île des poudres". Elle est située vers le quartier d’Empalot, le viaduc du pont d’Empalot nouvellement construit permet l’accès au vaste terrain clôturé de l’armée. La vieille poudrerie est alors entourée de nombreux bâtiments annexes et "la cité industrielle grouille de monde, est bruyante, des voies ferrées s’entrecroisent, les locomotives soufflent et sifflent, le bruit des marteaux, le hurlement des sirènes a remplacé le calme du ramier dans lequel les promeneurs se délassaient. La cité ne s’endort pas, le soir elle est illuminée et le travail continue".

Les travailleurs portent le brassard "P" des Poudres, des baraques en bois abritent bars, débits de boissons, restaurants… Au "Restaurant de la Triple entente, Aux glorieux 75, on sert à la portion" souligne la réclame à l’entrée, au "Café restaurant de la Victoire" ou au "Café restaurant de la Marne" le repas est à 1,50 F…. Le peintre Yarz auteur de la toile du grand salon rouge au Capitole ne reconnaîtrait plus l’endroit.

Bonnes œuvres et secours
En vue de la préparation de la campagne d’hiver, preuve qu’on ne se fait plus d’illusions sur la durée de la guerre, les associations lancent un appel et demandent toujours plus de chandails, chaussettes, caleçons, chemises et denrées non périssables à envoyer aux soldats. Comme chaque mois, une nouvelle association voit le jour : la "journée des éprouvés de guerre" est créée le 25 septembre.

Par ailleurs, le Japon envoi un secours de 160 000 F au ministre de l’Intérieur du gouvernement belge. C’est le fruit d’une souscription recueillie auprès des habitants de Tokyo.

Économie
Depuis le début de la Grande Guerre, les dépenses du pays s’élèvent à 30 milliards de F. Pour financer le conflit, les "bons de la défense nationale" sont mis à la disposition du public et La Monnaie accepte l’or des Français échangés contre des billets de la Banque de France. Malgré la fabrication de 100 000 F de sous par jour, la petite monnaie est encore rare dans notre région et elle est rendue à Toulouse en tickets de tramway ou en timbres postes. Comme à Saint-Sulpice-la-Pointe, quelques communes recourent à des jetons localement et à Toulouse encore, la Société des Grands cafés de la ville met en circulation, le 13 septembre, une nouvelle monnaie de billon. Elle a frappé des jetons en laiton, carré à coins arrondis, portant la mention "Guerre – 5 C – 1914-1915-1916" et de l’autre côté "Société des Grands Cafés Grand Café Comédie, Grand Café Américains, Grand Café-Restaurant Lafayette, Toulouse", pièce d’une valeur fiduciaire de 5 cts, qu’elle met en circulation.

Bon de la Défense Nationale reproduit dans la presse locale
Bon de la Défense Nationale reproduit dans la presse locale, L’Express du Midi, © rosalis.bibliotheque.toulouse.fr 

La vie est chère car les prix ont augmenté, celui du lait passe à 0,35 F le litre au 25 septembre. Pour éviter les hausses significatives, Narbonne décide qu’il ne sera mis en vente que deux catégories de pain, la boule de 2 kg dont le prix est fixé à 0,90 F et les pains de moins de 1 kg à 0,475 F le kg. En réponse aux plaintes des Toulousains qui jugent excessif le coût des légumes frais sur les marchés, la mairie décide de publier ces prix dans la presse, décision qui mécontente encore plus les habitants. Une des raisons de l’envolée des prix est alors le rôle joué par les accapareurs. Certains ont, par exemple, acheté tous les haricots du marché de Cadours le 20 septembre, soit 100 hl, qu’ils ont expédié en Espagne via Perpignan. La même opération s’était produite avec les oignons aux marchés de Toulouse et Montauban, partis pour une destination inconnue via Bordeaux.

Dans l’industrie, un rapport de l’inspection du travail fait état des établissements français en activité : sur 38 380 établissements occupant 1 285 511 ouvriers, seulement 49 % fonctionnaient en août 1914, les autres ayant fermé. En octobre 1914, ils sont 57 % à être en activité et 79 % en juillet 1915. Ils représentent alors près de 70 % du personnel en temps de paix. Les 574 ouvriers annamites arrivés le 13 septembre à Marseille à bord du paquebot "Amiral Magon", doivent renforcer les éléments des arsenaux de Tarbes et Pau. Ils fabriqueront les munitions.

Judiciaire
Nationalement, le juge d’instruction Drioux qui dirige l’enquête de l’assassinat de Jean Jaurès, signe au début de septembre, l’ordonnance renvoyant l’assassin Raoul Villain devant la chambre des mises en accusation sous l’inculpation d’homicide volontaire avec préméditation.

En région, le 3 septembre, une grave affaire de corruption est mise à jour au Saut-du-Tarn à Saint-Juéry (81). Quelques "contrôleurs réceptionnaires" de projectiles militaires se sont laissé corrompre, l’un d‘eux ayant perçu 200 F. Les prélèvements analysés ne montrent pas de malfaçon sur les munitions faites au Saut-du-Tarn. Cette affaire ne serait limitée qu’à une tentative de corruption de fonctionnaire car l’armée n’aurait subi aucun préjudice. Mais la presse s’alarme, soupçonnant quelques passes droits. Le 13 septembre, le directeur des usines est inculpé avec trois autres personnes pour des faits de corruption d’un contrôleur de 1re classe de la Marine. Les constatations d’usage révèleraient un préjudice matériel porté à la défense nationale.

Nos soldats
Le gouvernement décide le 7 septembre 1915 que la France doit posséder rapidement 111 escadrilles de 10 avions chacune. Le 13 septembre 1915, le sous-secrétariat d’État chargé de la direction des services de l’aéronautique et de l’aviation militaire est créé au sein du ministère de la Guerre. René Besnard en est le premier à occuper cette fonction. Les aviateurs sont rapidement formés et le parcours d’Octave Lapize vainqueur du Tour de France cycliste en 1910 – il a remporté notamment les deux étapes pyrénéennes à Luchon et Bayonne – est alors exemplaire. Engagé volontaire au début de la guerre comme motocycliste puis comme automobiliste, il vient de suivre une formation d’élève pilote au camp d’aviation d’Avord près de Bourges, et espère passer son brevet de pilote avant le 1er novembre.

Le gouvernement propose que les soldats touchent une solde d’un à cinq sous par jour et il décide dans le même temps la création d’une médaille commémorative de la campagne contre l’Allemagne. Elle sera attribuée dans un premier temps à tout soldat blessé puis, dès la fin du conflit, à tous les soldats.

Enfin, le moratorium des loyers est prorogé car un délai supplémentaire de trois mois est encore accordé aux veuves de militaires morts depuis août 1914, aux femmes de militaires disparus ou aux membres de leurs familles qui habitaient avec eux ainsi qu’aux sociétés dont les gérants sont sous les drapeaux.

Les blessés
Les blessés sont toujours aussi nombreux, la grande majorité vient du front. Le Conseil général de l’Ariège met le 4 septembre à la disposition de l’armée l’asile-hospice de Sabart à Tarascon-sur-Ariège pour la création d’un hôpital pour soldats tuberculeux et la ville d’Albi informe qu’elle soigne 884 militaires.

Le comité de l’œuvre des mutilés achète six appareils pour handicapés dont le coût est de 830 F et étudie par ailleurs la création d’une école pour la rééducation professionnelle des mutilés. Quant aux enfants victimes de la guerre, "orphelins de guerre", les autorités envisagent la construction d’asiles, véritables refuges pour eux.

Les familles qui vont visiter les blessés peuvent obtenir une réduction par les compagnies de chemin de fer en produisant une pièce émanant de l’établissement hospitalier et un certificat du maire de la commune.

Sécheresse
Le mois de septembre 1915 est sec et le vent quasi quotidien. Les feux de broussailles sont nombreux dans la région, feu de meules de paille à Castelnaudary (Aude), incendie du bois de Pradel à Samatan (Gers), feu à la montagne du Pech en Ariège… Le 23 septembre, en raison de ces conditions climatiques inhabituelles, le ministre de l’agriculture autorise exceptionnellement les agriculteurs à extraire l’herbe, la fougère, la bruyère et la mousse des forêts domaniales et à y mener les bestiaux avec l’autorisation des municipalités.

Le violent incendie à Toulouse, rue Riquet, n’est probablement pas dû à la sécheresse : le 24 septembre, il se déclare dans l’usine de chaussures de monsieur Gil dès 13 h. Dans un premier temps, le bruit court que l’entrepôt était vide et que la commande du ministère de la Guerre était honorée. Mais le lendemain, on apprend qu’une quantité importante de chaussures destinées à l’armée a brûlé.

TItre
Octobre 1915
Corps

La Bulgarie entre en guerre le 5 octobre contre la Serbie et l’envahit aussitôt.

Le 17 octobre, l’Angleterre déclare la guerre à la Bulgarie suivie le lendemain par la France et le 19 octobre par l’Italie.

Suite à l’échec des négociations auxquelles il a participé en vain, le ministre des Affaires étrangères, l’Ariégeois Théophile Delcassé, démissionne le 13 octobre du gouvernement Viviani qui est remplacé le 29 octobre par celui d’Aristide Briand.

En Ariège, la commune des Allemans devient La Tour-du-Crieu. En effet, "En raison des évènements tragiques actuels", Jules Simorre, maire des Allemans, propose le 16 août 1914 de changer la dénomination de son village car elle "rappelle trop celle de nos ennemis héréditaires, synonyme de barbarie". Il propose "La Tour-du-Crieu" car il existait "jadis sur la place de la Tour située au centre du village, une tour dont un vestige impérissable fait l’admiration des visiteurs". Le village s’appelait alors "Saint Paul du Crieu", le Crieu étant le ruisseau qui traverse la commune. "D’enthousiasme et par acclamation", le conseil municipal adopte la proposition de son maire. Le sous-préfet juge le motif de la demande "digne de considération" et l’avis du conseil général étant favorable, le préfet transmet le 9 octobre 1914 le dossier au ministre de l’Intérieur. En fin d’année, le préfet reçoit une carte-correspondance envoyée le 24 novembre par des soldats du 134e régiment d’infanterie territoriale basé en Ariège. Approuvant le changement de nom, ils proposent d’appeler le village "Dardier", du nom de leur colonel tué au champ d’honneur. Cependant, par décret du 14 octobre 1915, Raymond Poincaré alors président de la République française, décide que "la commune des Allemans (canton de Pamiers, département de l’Ariège) portera à l’avenir le nom de La Tour-du-Crieu". Le même jour, un autre décret donne à la commune des Allemands dans le Doubs, le nom de "Les Alliés". La décision prise dans l’Ariège témoigne des sentiments antiallemands qui se développent alors. Dans un article publié dans "L’Express du Midi" le 5 mars 1915, son auteur rappelle que la rue d’Allemagne à Paris a été récemment débaptisée. Il recense treize noms de lieux ou de villages qui comportent encore le mot "Allemagne" ou "Allemands" ou "Berlin" ou encore "Boche".

Carte correspondance de la Tour-du-Crieu : verso.
Carte correspondance de la Tour-du-Crieu : verso, © Archives départementales de l’Ariège
Carte correspondance de La Tour-du-Crieu adressée par les soldats du 134e R. I. T. au préfet de l’Ariège
Carte correspondance de La Tour-du-Crieu adressée par les soldats du 134e R. I. T. au préfet de l’Ariège : recto, © Archives départementales de l’Ariège

Il en est de même avec les iles Kerguelen situées au sud de l’océan Indien et possessions françaises. Depuis le 4 juin dernier, elles sont "débarrassées de noms germaniques". Le service hydrographique de la marine vient de remplacer les noms allemands par des dénominations bien françaises. Ainsi la presqu'île Bismarck devient la presqu'île Jeanne d'Arc, les bassins du Prince-Royal, du Prince-Henri et de l’Empereur deviennent les baies Chanzy, Suffren et de la Marne, la presqu’île Stosch prend le nom de Hoche, celle de Roon le nom de Carnot...

Affaires
Le 11 octobre, le conseil d’administration de la société du Saut-du-Tarn remet "dans un souci de bonne marche de l’entreprise", ses ateliers à la disposition du ministère de la Guerre. Car l’affaire du Saut-du-Tarn, considérée comme minime, a pris une nouvelle tournure avec le dépôt de plainte du ministre de la Guerre pour fraudes et corruption de fonctionnaires : un autre chef de service est alors arrêté.

Les malversations se déroulent également dans des secteurs jugés sensibles. Par exemple, la population est avertie le 2 octobre que les casques mis en vente ressemblent à ceux distribués au front mais n’ont pas les mêmes qualités. Aussi, les familles doivent-elles s’abstenir de les acheter et de les envoyer à leur soldat. C’est également le cas des appareils de protection contre les gaz, jugés de piètre qualité, mis en vente auprès du public.

Le 28 octobre, la cour d’assises de la Haute-Garonne juge un juge de paix de Fleurance, poursuivi sous l’accusation de détournement d’une somme de 1 200 F. Il est condamné le lendemain à cinq ans de prison.

Agriculture
Il est urgent de terminer les semailles et les labours. Aussi le ministre de la Guerre décide-t-il d’accorder les permissions agricoles à tous les hommes de troupe, agriculteurs, à l’exception des hommes de l’active ou la réserve des classes 1902 à 1915. Les équipes de travailleurs non professionnels devront également participer à l’effort. Par ailleurs, après les résultats parus dans l’Officiel montrant un déficit en blé, les autorités constatent qu’il est comblé en grande partie par la consommation accrue de pommes de terre, de maïs et de châtaignes "dont les habitants des campagnes n’hésitent pas à faire usage quand le besoin l’exige".

Quant aux vendanges, le ministère de la Guerre informe les viticulteurs qu’ils doivent garder le quart de la récolte pour les réquisitions. Les cours seront déterminés par la commission départementale d’évaluation de réquisition.

Rentrées
Le mois d’octobre est celui des rentrées, rentrée scolaire le 2 octobre, rentrée judiciaire le même jour. L’École des beaux-arts de Toulouse ouvre le 15 du mois et les jours suivants le Conservatoire organise ses concours d’admission. Les cours publics de musique, de dessin… reprennent ainsi que les séances des différentes sociétés (géographie, agriculture…). Les clubs sportifs programment à nouveaux des rencontres et organisent leurs championnats.

Même les concerts toulousains de musique au Grand Rond, arrêtés depuis le 2 août 1914, reprennent comme les courses hippiques qui n’étaient plus organisées depuis la même date.

Nos soldats
L’autorité militaire définit les situations des hommes mobilisés, revenus du front et qui sont employés dans les usines privées travaillant aux fabrications de guerre (artillerie, poudres, aéronautique…). Ils bénéficient de la législation ouvrière et sociale et perçoivent un salaire normal. Affectés aux établissements, ils ne peuvent les quitter que par mutation régulière. Ils ne peuvent prétendre aux congés et permissions militaires, à la franchise postale, au tarif militaire en chemin de fer et leurs familles n’ont pas droit aux allocations militaires. Mais ils restent tout de même à la disposition du ministère de la Guerre et relèvent en dehors du temps de travail, de l’autorité militaire.

Le commandant de la place de Foix rappelle également les tarifs de réquisition de logement pour la troupe lors de cantonnements : 1 F par jour pour un lit d’officier, 0,20 F pour un lit de sous-officier ou soldat, 0,05 F pour le cantonnement d’un homme par nuit, 0,20 F par jour et m2 pour chambre et pièce habitée, 0,01 F par jour et m2 pour magasins, remises, granges…

Nos blessés
Le nombre de blessés reçus dans notre région augmente en octobre comme en témoigne le maire de Montauban. Il informe ses administrés qu’"à la suite des glorieuses batailles de Champagne et d’Artois, le nombre de blessés soignés dans les différents hôpitaux de la ville qui avait fortement diminué s’est fortement accru ces jours ci". La seconde bataille de Champagne est donc bien meurtrière car depuis le début du mois on ne compte plus les convois de blessés qui arrivent à Saint-Gaudens, Foix, Auch, Lectoure, Saint-Girons, Carmaux, Verdun-sur-Garonne… Villefranche-de-Rouergue reçoit 70 blessés dirigés à l’hôpital Sainte-Claire, 30 à l’hospice, 15 dans les hôpitaux temporaires.

Au milieu du mois la communauté belge envisage d’ouvrir une école à Albi, ville dans laquelle fonctionne depuis peu une école professionnelle pour la rééducation des mutilés qui y sont logés, nourris, éduqués ou rééduqués gratuitement.

Nos morts
Madame veuve Marie Caralp, de Ganac dans l’Ariège, reçoit au début du mois la croix de guerre en souvenir de son fils, sous-lieutenant, mort glorieusement le 29 octobre 1914, près d'Arras, au combat de Mouchy. Laurent Caralp, âgé de 29 ans, docteur en droit, rédacteur à la Caisse des dépôts et consignations à Paris, a été appelé le premier jour de la mobilisation et incorporé au 79e régiment d'infanterie comme sous-lieutenant. La citation suivante, à l’ordre du régiment, accompagnait la croix de guerre : "Au cours des attaques répétées, menées pendant plusieurs jours devant un village fortifié, a fait preuve des plus belles qualités de courage et d'énergie. Le 2 novembre 1914, le lieutenant- colonel : PETIN".
Une lettre du colonel complétait cet envoi : "Madame, J'ai l'honneur de vous faire parvenir ci-inclus, un extrait de l'ordre n° 37, par lequel j'ai cité à l'ordre du régiment votre fils, M. le sous-lieutenant Caralp, tombé glorieusement devant le village de Mouchy. Je profite de cette occasion, Madame, pour vous exprimer la part très vive que je prends à votre douleur et vous faire connaître la haute estime dans laquelle je tenais votre fils, de façon toute particulière. Sa mort a été héroïque, à côté de son capitaine, M. Blin ; il s’est élancé sur une route battue par les balles de mitrailleuse et prise de flanc par la mousqueterie allemande. Ses hommes l'ont suivi jusqu'au bout et seule la mort a pu l'arrêter. De tels exemples assurent l'héroïsme d'une troupe et préparent les revanches futures. Vous pouvez être fière de votre fils. En vous renouvelant Madame, l'assurance de la part très vive que je prends à votre douleur, je vous prie de vouloir bien trouver ici l’hommage de mon profond respect".
Madame Caralp recevra, comme toutes les familles des militaires décédés, les effets et objets laissés par son fils à l’armée lors de son incorporation. Le 18 octobre, le ministre de la Guerre décide qu’ils ne seront plus donnés au dépôt mais expédiés par voie ferrée aux maires dans les communes dans lesquelles résident les familles. Les frais d’envoi seront remboursés par l’administration.

Liste des effets ayant appartenu à Antoine Louis Paul Bordenave habitant Bélesta (09).
Liste des effets ayant appartenu à Antoine Louis Paul Bordenave habitant Bélesta (09).

La région déplore la disparition du célèbre entomologiste aveyronnais, Jean-Henri Fabre (1823-1915). Décédé le 11 octobre 1915, à 92 ans, cet homme de sciences et de lettres qui rêvait "de composer une cité des insectes qui aurait été la plus troublante des révélations sur sa vie…" a vu son souhait exaucé par la réalisation du musée "Micropolis" inauguré à Saint-Léons (Aveyron) en 2000.

L’entomologiste français Jean-Henri Fabre
L’entomologiste français Jean-Henri Fabre, © Wikipedia

Vie municipale
La pénurie de petite monnaie en nickel et bronze est telle qu’elle a donné naissance à un commerce clandestin. Les petites sommes recueillies sont revendues à un prix supérieur à leur valeur nominale. Par exemple, les pièces de 50 cts sont revendues à 75 cts et plus parfois. Le phénomène prend une telle ampleur que le 17 octobre, les préfectures interdisent le négoce de sous.

En octobre, les conseils d’arrondissent comme celui de Foix ou de Gaillac, à la demande du préfet, doivent répartir les contributions personnelles mobilières qui portent aussi sur les portes et fenêtres. En ces temps difficiles, ces impôts sont bien lourds. Car la vie chère touche de nombreux produits, le pain, le sucre, la viande, les œufs, le pétrole, le bois et le charbon, produits indispensables et de première nécessité. Aussi, l’administration intervient-t-elle dans ces domaines en imposant des prix qu’elle réglemente même si la mairie de Castelnaudary autorise l’augmentation du lait de 0,30 à 0,40 F le litre ce qui mécontente ses habitants. À Albi, la commission extra municipalise arrête les prix du sucre (1,25 F le kg), du sel (0,25 F), des pâtes alimentaires (1,20 F), des pommes de terre (0,15 F), des haricots (0,70 F le litre), des pois (0,80 F/l), des œufs (1,60 F la douzaine), du lait (0,25 F/l) et du pétrole (0,45 F/l). Rodez demande aux boulangers de bien peser les pains, aux bouchers de tenir les prix plus en rapport avec les cours pratiqués localement, aux maraîchers de pratiquer des prix modérés ainsi qu’à tous les marchands de denrées et vivres de première nécessité.

Parce que les doléances des habitants s’accumulent, Toulouse demande la déchéance de la compagnie de gaz. L’accident survenu dans l’installation de la société toulousaine d’électricité, qui prive le 18 octobre la ville d’électricité de 17 h à 23 h, n’améliore pas les relations entre la municipalité et la compagnie. Les difficultés d’approvisionnement et le prix élevé du charbon imposent à Castelsarrasin comme ailleurs de restreindre l’éclairage public.

Enfin, les communes portent assistance comme chaque année aux plus démunis dont le nombre augmente. Comme à Montauban ou à Cahors, dans le but "de venir en aide à la population ouvrière pendant la saison d’hiver, et de lui assurer une distribution de soupes et de légumes bon marché", les fourneaux économiques reprennent à partir du 2 novembre prochain probablement jusqu’en juillet 1916.

Fourneaux économiques.
Fourneaux économiques, © Bibliothèque Patrimoniale et de Recherche du Grand Cahors 

Désertion
La propagande est diffusée dans tous les domaines, la presse essentiellement mais aussi celui associatif : la conférence du 14 octobre à Toulouse organisée par les fédérations des sociétés de préparation militaire de l’Ariège et de la Haute-Garonne traite de "l’hygiène du soldat en campagne". La culture n’est pas épargnée, les pièces de théâtre comme "Vive la France" présentée aux Nouveautés, "pièce très originale toute d’actualité et purement patriotique", remportent un vif succès.

Malgré la propagande, les conseils de guerre permanents jugent de plus en plus d’affaires de désertion. C’est le cas de deux jeunes gens de Toulouse et de Tonneins arrêtés à Saint-Girons. Ils voulaient passer en Espagne pour se soustraire à leurs obligations militaires. Un autre, déserteur, a réussi à passer en Espagne. Ses parents qui voulaient le rejoindre ont été dessaisis le 18 octobre de leurs passeports.

TItre
Novembre 1915
Corps

Depuis le début du conflit, les Français participent à l’effort de guerre en versant leur or pour reconstituer les réserves du pays. La succursale de la Banque de France de Villefranche-de-Rouergue annonce par exemple, en novembre 1915, qu’elle a reçu 700 000 F en or des seuls habitants de l’arrondissement. Mais les dépenses militaires de la guerre étant de plus en plus lourdes, l’État lance le 23 novembre, le premier grand emprunt de la défense nationale nommé "Emprunt de la Victoire".

Affiche de l’emprunt de la défense nationale.
Affiche de l’emprunt de la défense nationale, © Archives départementales du Cher

Alcoolisme
Luttant contre l’alcoolisme l’État règlemente la vente d’alcool : "hors vins, bières, cidre, poiré, hydromel et liqueurs de moins de 18° ou liqueurs sucrées de moins de 23°". Elle n’est autorisée dans tous débits de boisson qu’à partir de 11h. La réglementation est durcie pour les militaires car, comme d’autres, le colonel commandant la place de Rodez rappelle aux limonadiers que leurs établissements ne peuvent être ouverts aux soldats que de 11h à 13 h et 17 à 22 h en semaine, les dimanches et jours fériés de 11h à 22h.

La vente d’alcool est interdite aux moins de 18 ans et aux femmes. S’appuyant sur une circulaire ministérielle qui prescrit de supprimer l’allocation aux femmes des mobilisés se livrant à la débauche ou s’adonnant à la boisson, le préfet de l’Aude applique ce texte à trois femmes de Limoux le 3 novembre, décision saluée par la population.

Agriculture
Les récoltes étant plus mauvaises qu’en 1914, les maires informent les agriculteurs que les déclarations de perte doivent être établies auprès du contrôleur des contributions directes. C’est ce que ne manquent pas de faire les viticulteurs de Condom dans le Gers : leur production est passée de 29 123 hl en 1914 à 8 499 hl cette année. Ces comptes sont tirés des déclarations que doit faire la profession avant la fin du mois. L’administration souhaite avoir une vision plus juste des ressources disponibles.

C’est également le cas avec les éleveurs qui doivent eux aussi rendre des comptes : à la demande du préfet ils doivent déclarer les animaux engraissés dont un grand nombre sera ensuite réquisitionné.

Culture
Le célèbre comédien et chanteur d’opérettes français, Albert Brasseur, est, avec Jean Coquelin, Juliette Darcourt et sa troupe de théâtre, en tournée dans le sud de la France. Il est en représentation le 30 novembre à Castres, à Montauban auparavant, à Béziers ensuite pour interpréter la pièce de Paul Gavault, "ma tante d’Honfleur". Cette pièce a été mise en scène et jouée en 1914 au théâtre parisien des Variétés.

Albert Brasseur (1862-1932), comédien et chanteur d’opérette français.
Albert Brasseur (1862-1932), comédien et chanteur d’opérette français, © Wikipédia 

Économie
Afin d’enrayer la pénurie de la monnaie de billon, les nouvelles pièces rondes, de cinq sous, en nickel, sont mises en circulation le 5 novembre. Elles ont la particularité d’être trouées au centre pour éviter de les confondre avec d’autres. Malgré cela, les habitants se plaignent toujours du manque de petite monnaie. Aussi, l’Hôtel de la Monnaie de Paris informe-t-il le 17 novembre qu’il a chargé l’Hôtel des Monnaies de Madrid de fabriquer 30 millions de rondelles de cuivre destinées à être frappées en France (10 millions de pièces de dix centimes et 20 millions de pièces de cinq centimes).

Quant au nouvel emprunt, lancé par décret le 23 novembre, il sera clôturé le 15 décembre suivant. Au taux de 5%, il ne pourra être convertible pendant 15 ans mais il sera exempté d’impôts. Chaque commune française reçoit au moins deux affiches dont l’auteur est Francisque Poulbot. Elles sont destinées à inciter les personnes à souscrire et les comités locaux comme "le comité de l’Or et de l’emprunt national" de Gaillac et L’Église de France participent à sa diffusion. Les bureaux de recettes des finances annoncent, comme les perceptions, qu’ils seront ouverts tous les dimanches pendant la période de souscription. Les recettes postales décident d’ouvrir tous les jours. L’emprunt de la Victoire rapportera plus de de 15 milliards de F.

Bonnes œuvres
En prévision d’un hiver rude, les associations reçoivent des paires de chaussettes, des caleçons en laine, des tricots, des chemises en flanelle, des mouchoirs, des chandails, les habituelles cagoules et les bonnets et de l’argent qu’elles envoient à nos soldats dans les tranchées et à nos prisonniers. Comme dans de nombreuses communes, Carcassonne active à nouveau son ouvroir, lieu dans lequel les femmes confectionnent des vêtements ou retouchent et réparent les vêtements donnés.

Les œuvres de bienfaisances préparent également les colis de Noël envoyés aux soldats ou aux prisonniers. Afin de les financer, les concerts de charité sont organisés, à Narbonne le 11 novembre ou à Cordes à la fin du mois, ainsi que les quêtes. Gaillac décide que les colis seront individuels et tous remplis de la même manière. Les orphelins de guerre ne sont pas oubliés car leurs colis comprennent en plus des jouets et des offrandes.

Les œuvres en faveur des mutilés sont également actives. En plus de leur mission d’assistance, elles investissent dans le domaine de l’appareillage en soutenant les inventeurs d’appareils et en achetant, comme le comité toulousain le 13 novembre, une dizaine d’appareils perfectionnés. Mais comme tous les comités, celui des soldats aveugles déplore qu’en ces temps difficiles, les pensions soient bien faibles : un aveugle touche 975 F par an et s’il est "demi-voyant", il n’a que 631 F.

Pour les réfugiés, français ou étrangers, les préfets demandent aux maires d’organiser des quêtes et des souscriptions spécifiques et de reloger les mal-logés dans les édifices publics, les couvents désaffectés, les immeubles réquisitionnés… Ils rappellent que tous les enfants doivent fréquenter régulièrement l’école de la République. Enfin, les chaussures manquant le plus, ils autorisent les maires à acheter des sabots qui seront remboursés par l’État.

Réquisitions
Le 11 novembre, le conseil de guerre juge plusieurs manufacturiers de l’Ariège qui n’ont pas répondu aux ordres de réquisition pour la fourniture de draps. Aussi, les autorités rappellent-elles les conditions des réquisitions. Le droit à la réquisition permet à l’État de prélever sur la population civile, toute personne, tout animal et tout produit nécessaire au fonctionnement de la guerre. Ce droit exercé par l’autorité militaire, de façon soit amiable soit forcée, les commissions de réception demandent aux maires les quantités voulues par l’armée. Ces derniers répartissent équitablement sur leurs administrés la quantité imposée, réunissent la réquisition et la transportent au lieu indiqué par la commission de réception. Les prix imposés correspondent à un dédommagement comprenant le prix de revient majoré d’un "bénéfice convenable". Si le prix est refusé, un juge de paix ou le tribunal compétent, le conseil de guerre dans le cas de l’exemple ariégeois, jugent l’affaire.

Ne peuvent pas être réquisitionnées les vivres destinées à l’alimentation d’une famille représentant sa consommation sur 5 jours, les grains ou autres denrées alimentaires qui se trouvent dans un établissement agricole, industriel ou commercial ne dépassant pas la consommation de 8 jours. Depuis la circulaire du 16 octobre 1915 du ministre du Commerce, les blés destinés aux semailles d’automne ou de printemps ne peuvent pas être non plus réquisitionnés pas plus que la quantité nécessaire à l’alimentation d’une famille d’agriculteur jusqu’à la prochaine campagne et les fourrages indispensables à la consommation des bestiaux sur 15 jours. Les récoltes de vin de moins de 10 hl ne sont pas réquisitionnées mais cette mesure n’apaise pas le mécontentement des viticulteurs : ceux de Gaillac se plaignent du prix des réquisitions du vin à 29 F l’hectolitre alors qu’il est payé dans le commerce à 47 F.

Soldats
La loi Dalbiez promulguée le 19 août 1915, du nom du député des Pyrénées-Orientales Victor Dalbiez, est une réponse au problème des "embusqués" car elle assure une meilleure utilisation des hommes mobilisés et mobilisables. Par exemple, le 27 novembre, les militaires du service armé occupant des emplois sédentaires sont remplacés par des auxiliaires, notamment les "engagés spéciaux", exemptés ou réformés. Les auxiliaires obtiennent au cours du mois de novembre, le droit de dormir chez eux et non au dépôt.

Quant aux parents des soldats, ils sont heureux d’apprendre que l‘armée accorde à partir du 16 novembre, sous certaines conditions, des permissions de six jours. Le célèbre aviateur, l’adjudant Jules Védrines, vainqueur en 1911 de la course aérienne en trois étapes Paris-Madrid, peut venir en permission à Limoux auprès de sa famille.

Enfin, les soldats au front demandent aux leurs des limes fines pour tromper l’ennui. "L’art des tranchées" est en plein essor et à partir du laiton et du cuivre provenant de douilles de balles, d’obus…, d’aluminium, de cuir, de bois, de pierre, de nombreux objets sont réalisés.

Vie judiciaire
À chaque mois son scandale : ce mois-ci, il concerne les réformes frauduleuses sur l’ensemble du territoire national. Des "rabatteurs" présentent des personnes à des médecins malhonnêtes qui, contre argent, les déclarent convalescents, ou les réforment ou enfin les versent dans les services auxiliaires. Jusqu’à 15 000 F ont parfois été versés. Deux secrétaires d’état-major sont impliqués.

Localement, l’affaire du Saut-du-Tarn suit son cours et on apprend le 21 novembre que dix personnes sont inculpées et que le tribunal s’est dessaisi en faveur de l’autorité militaire. Les prévenus seront jugés en conseil de guerre du 16e corps d’armée à Montpellier.

Vie municipale
Malgré la surveillance des foires et marchés, les habitants se plaignent de plus en plus de la cherté des denrées de première nécessité. Par exemple, à Castres, ils dénoncent le prix au kg de l’oie grasse qui est passé de 2 F en 1914 à 3,60 F en novembre 1915, le litre de lait de 0,25 F à 0,40 F, la douzaine d’œufs de 1,50 F à 2,30 F ; la "pagelle" de bois qui était à 19 F est à 30 F. Ils demandent à la mairie de réglementer les tarifs de ces produits. Face à l’incurie des autorités, un groupe de consommateurs décide le 8 novembre à Toulouse, de créer un "marché régulateur" en supprimant le plus d’intermédiaires. Le groupe veut vendre sur les trois marchés toulousains directement du producteur au consommateur. Parfois, les municipalités discutent avec les professionnels des prix, par exemple de la viande ou du charbon. La question du charbon est sensible car il faut préparer l’hiver, s’éclairer et se chauffer. Mais les principales mines françaises sont dans le Nord, dans les zones de combat et la demande sur les mines de Carmaux, Albi et Alès est trop forte. De plus, comme le déplore le député de Muret, Vincent Auriol, les wagons qui pourraient transporter le charbon sont réquisitionnés. C’est probablement à cause du manque du charbon que deux fois dans le mois, la capitale régionale est privée d’électricité de 17 h 30 à 20 h, la Société toulousaine d’électricité présentant ses excuses.

Dans cette ville, deux accidents interviennent le même jour. Le 23 novembre, l’explosion d’un baril de poudres à l’usine Lacroix, fabricant de fusées éclairantes pour l’armée, fait quatre morts et deux blessés.

Usine Lacroix.
Usine Lacroix, © Collection privée, Jérôme Bonhote. 

Quelques heures après, dans le brouillard dense, deux trains de marchandises entrent en collision au pont d’Empalot proche de la poudrerie et des wagons versent dans la Garonne. L’inquiétude est grande car beaucoup soupçonnent l’œuvre d’espions allemands. Ce sentiment est renforcé par une circulaire du sous-secrétaire d’État à l’aéronautique diffusée par les préfectures aux maires. Des ballons de petite taille "de provenance étrangère", "avec des restes de dispositifs d’appareillage électrique" ayant été trouvés sur le territoire national, les maires ont pour consigne de recueillir en totalité ceux qu’ils trouveraient et de les envoyer rapidement en préfecture.

Le climat d’insécurité est d’autant plus grand que le nombre de vols augmente, les plaintes affluent contre les actes de grivèlerie qui se multiplient et contre les larcins en tous genres. Parce qu’il est interdit de chasser, le braconnage se développe chez nombre de nos concitoyens.

Mémoire
Le 1er novembre, jour de la Toussaint, de nombreuses cérémonies officielles sont organisées aux cimetières devant les tombes des soldats morts et devant les nécropoles, les monuments des mobiles (1870-71) dans les villes qui en possèdent comme à Saint-Gaudens, Mende, Bédarieux, Mirande….

À Carcassonne, le cortège réuni devant la mairie, composé des sociétés de la ville, de la municipalité et des autorités civiles et religieuses locales suivies de la population, se dirige au monument des Audois pour déposer des couronnes. Puis il va au cimetière Saint-Michel où les tombes des soldats morts pour la patrie sont fleuries. Les autorités civiles et religieuses n’ont pas voulu faire de discours.

En mémoire des soldats valeureux, le ministre de la Guerre demande le 11 novembre aux municipalités d’afficher en mairie le texte des citations à l’ordre de l’armée des militaires de la commune. De nombreuses communes publieront rapidement ces documents comme le fait Saint-Girons à partir du 23 novembre.

TItre
Décembre 1915
Corps

Arès la catastrophique bataille des Dardanelles, le général Joffre est nommé par décret, le 2 décembre 1915, commandant en chef des armées françaises.

Dans la conférence de Chantilly qui suit, les 6, 7 et 8 décembre, les forces alliées décident de coordonner leurs offensives pour l’année 1916.

Au début de ce mois, le soldat René Benjamin reçoit le prix Goncourt pour son roman "Gaspard". Il l’a écrit à l’hôpital de Tours dans lequel il a reçu des soins pendant plusieurs mois, ayant été gravement blessé en septembre 1914.

Agriculture
L’agriculture souffre de plusieurs maux. En premier, "l’inculture [tendant] à augmenter", les préfets demandent aux maires de relancer la mise en culture de terres abandonnées et la reprise d’exploitations et de fermes abandonnées. Puis, afin de remédier au manque de main-d’œuvre, le ministère de l’Agriculture invite les agriculteurs à découvrir la mécanisation des labours lors de manifestations qui se déroulent vers le 13 décembre dans notre région. Dans le même temps, les préfets enquêtent car ils soupçonnent certains maires de signer des certificats de complaisance permettant aux militaires de bénéficier de permissions agricoles : les cas de mobilisés ayant la qualité d’agriculteurs alors qu’ils s’avèrent être de piètres paysans, se multiplient.

Enfin, la pénurie de wagons est vivement dénoncée notamment par les 72 000 adhérents de la Confédération générale des vignerons réunis le 29 décembre à Narbonne : ils regrettent que l’armée en réquisitionne un trop grand nombre.

Les éleveurs sont également concernés par l’évolution des pratiques car l’État interdit alors l’abattage de jeunes femelles bovines, ovines et porcines en état de gestation, de femelles bovines jusqu’à à trois ans et demi et d’agneaux de moins de 25 kg.

Enfin, la chasse étant interdite, les animaux nuisibles (sangliers, renards, blaireaux, fouines, lapins, aigles, faucons, corbeaux, corneilles, pies et geais) abondent et ravagent les cultures et les élevages. Aussi, des battues administratives sont-elles organisées, celle du 11 à Samatan (Gers) est consacrée aux renards. Le département de l’Aude sinistré, les battues sont planifiées tous les mardis, jeudis et dimanches. L’emploi de lacets ou de collets est alors exclu.

Les blessés et les infirmes
Les soldats "blessés consécutivement à des faits de guerre" sont autorisés à porter depuis le début du mois, sur une manche de leur uniforme, deux galons rouges. Car à défaut de toute autre décoration comme la croix de guerre, ce signe distinctif honore les victimes de la guerre.

Pour les militaires plus lourdement atteints, réformés pour blessures ou infirmes de guerre, des recrutements spéciaux de surnuméraires dans les contributions directes leur sont réservés. Ils ont également la possibilité de suivre des formations de trois mois renouvelables une fois, comme celles dispensées au nouveau centre de rééducation professionnelle de mutilés agricoles inauguré le 21 décembre à Beaulieu près d’Auch, crée par le département.

Enfin, les familles nécessiteuses sont informées que le retour des corps des militaires ou marins décédés en service, se fera aux frais de l’État. Cette décision reste, bien évidemment, théorique car les conditions actuelles ne permettent pas à l’administration de la guerre de répondre favorablement. Mais l’armée précise qu’il est toujours possible aux familles qui le peuvent, de faire effectuer à leurs frais et avec les autorisations nécessaires, l’exhumation et le transport des leurs en dehors de la zone du front et à condition que le transport n’emprunte aucune partie du réseau militaire.

Les soldats
Comme ceux de Gaillac, les jeunes de la classe 1917 devant être appelés en janvier, préparent activement les festivités. Le programme du dimanche 19 décembre est le suivant : réunion à 7 h 30 sur la place de la mairie puis messe à Saint-Joseph à 8 h. La photographie est prise à 9 h 30 puis les jeunes rejoignent le monument des combattants. À 11 h 30 l’apéritif est pris au café Bez et le moka à 14 h au même endroit. Le départ au Mas-de-Thezit est à 15 h, le tour de ville à 17 h et l’apéritif chez madame Perrin à 18 h. La journée s’achève par un dîner au "restaurant du Chevreuil".

Pendant ce temps, les personnels mobilisés qui servent dans les administrations préfectorales départementales sont envoyés au front. En conséquence, les préfectures organisent des concours de recrutement pour pallier ces départs en précisant que les nominations ne créeront aucun droit à entrer dans les cadres du personnel à la fin du conflit.

Conseils de guerre
Le conseil de guerre de Montpellier juge, le 9 décembre, une affaire de malversation de fournitures militaires. Trois industriels de Castres et Mazamet ayant signé un marché avec l’intendance de Castres, devaient livrer 300 000 peaux de mouton, tannées et imperméabilisées. Elles devaient servir à l’habillement des soldats. Elles arrivèrent à Tours en décomposition, n’ayant pas été imperméabilisées. Les industriels indélicats sont poursuivis.

Quant à l’affaire du Saut du Tarn, deux inculpations sont lancées, la première pour corruption de fonctionnaires et la deuxième pour fraudes de fourniture. Le ministère de la guerre interdit en effet la soudure autogène qui a été pratiquée sur les pièces livrées. Mais le 21 décembre, le parquet militaire de Montpellier ordonne une expertise sur les effets de la soudure autogène.

Désertions, disparitions
Le 6 décembre, un sujet espagnol est arrêté à Montauban car il a remis des vêtements civils à trois militaires du 220e régiment d’infanterie, facilitant leur désertion. Dix jours plus tard, les trois soldats sont arrêtés à Montauban, et le même jour, les gendarmes prennent à Caylus (82) un réserviste du 283e régiment d’infanterie de Saint-Gaudens qui avait déserté.

Les gendarmes doivent également retrouver deux prisonniers allemands évadés le 19 décembre du camp de Sainte-Croix (Ariège) où ils étaient employés avec d’autres à la réfection d’une route. Une prime de 50 F est alors promise à celui qui les découvrira. La frontière espagnole proche, les deux évadés sont retrouvés à Saint-Girons le 27 décembre et sont aussitôt internés.

Enfin, d’autres disparitions inquiètent les familles comme celle de ce jeune toulousain de 15 ans qui a probablement rejoint le front comme cela se produit souvent. Même les jeunes filles disparaissent ce qui est le cas de deux d’entre elles, âgées de 13 et 14 ans, qui ont quitté leur domicile pour servir comme infirmières sur les zones de combat.

Emprunt et économie
Au 17 décembre, le ministère de la Guerre a calculé que l’"emprunt de la Victoire" couvre six mois de dépense de guerre et trois jours plus tard, il annonce que 14 milliards 274 millions ont été récoltés. La propagande bat son plein et un diplôme d’honneur est remis à toutes les personnes qui souscrivent. Dans l’Aude, 13 276 personnes ont versé 55 millions au 24 décembre.

Mais le coût de la guerre est exorbitant. Les parlementaires recherchent d’autres ressources et les discussions sur l’impôt sur le revenu réapparaissent. Cet impôt devait être perçu au 1er janvier 1915, mais "suite à l’état de guerre", son application a été repoussée d’un an.

Par ailleurs, la pénurie de petite monnaie est toujours présente malgré les efforts de l’hôtel des Monnaie à Paris qui sort des ateliers du quai Conti plus d’un million de pièces de 1 F, 0,50 F, 0,10 F et 0,05 F soit une valeur de 833 000 F dans la seule journée du 1er décembre.

Industrie
L’armée lance, comme en Ariège le 18 décembre, un appel aux industriels qui possèdent une usine d’une puissance d’au moins 250 chevaux et 20 ouvriers minimum pour leur confier des marchés. À Toulouse, elle demande que quelques entrepreneurs s’engagent rapidement dans la fabrication de roues ferrées pour les équipages militaires.

Mais les industriels manquent de main d’œuvre. Pour attirer les ouvrières dans les usines fabriquant vêtements, chapeaux, chaussures, lingeries, broderies dentelles et fleurs artificielles… les départements promettent un salaire minimum. Même celles exécutant des travaux à leurs domiciles sont concernées car un comité est, comme dans l’Ariège, nommé le 11 décembre pour déterminer le salaire minimum.

La production étant la priorité, les autorités s’inquiètent de tout mouvement social. Lorsque les ouvriers, notamment espagnols (la société en emploie alors 460), se mettent en grève à Cransac (Aveyron) pour une augmentation de salaire de 0,50 F par jour, la troupe est rapidement appelée. Mais face à la fermeté affichée par les dirigeants des Aciéries de France, le travail reprend rapidement sans l’intervention des gendarmes et des soldats. Cinq personnes sont arrêtées et une quarantaine renvoyée.

Cransac, vue du puits n°1 de la catastrophe de 1920.
Cransac, vue du puits n°1 de la catastrophe de 1920, © merigot.chez-alice.fr/CPA/page_04.htm 

Bonnes œuvres
Les soldats se plaignent auprès de leurs familles et de leurs représentants (députés, maires…) de manquer de vêtements chauds. "Suite aux accidents regrettables de l’hiver derniers (pieds gelés…)", le ministre interpellé répond officiellement que : "les armées peuvent demander des effets chauds pour chaque homme ainsi que des gants fourrés, un cache-nez ou passe-montagne, deux chemises et deux caleçons en flanelle et deux paires de chaussettes de laine. Les chaussures de tranchée (bottes à semelle de bois et tige de toile solide imperméabilisée montant au-dessus du genou) [sont] mises en service [depuis] le 30 novembre, 80 000 étant déjà distribuées. La couverture des troupes en campagne est une petite couverture de laine et il est tenu en approvisionnement plus de 850 000 sacs de couchage et 500 000 enveloppes de paillasses. Quant aux braséros et poêles de tranchées toutes les demandes sont satisfaites à ce jour et une réserve est à la disposition d’autres demandes".

Soldats dans une tranchée à Ablain-Saint- Nazaire [Pas-de-Calais].
Soldats dans une tranchée à Ablain-Saint- Nazaire [Pas-de-Calais], janvier 1915. Emmanuel Charles Jodelet. bdic.fr 

Malgré cela, les sociétés d’œuvre préparent sous le haut patronage du gouvernement, la "journée du Poilu" des 25 et 26 décembre prochain. "La bague du Poilu", des cartes postales, des aquarelles, des paires de chaussettes que le "cher poilu sera content de recevoir", des gants, passe-montagnes, gilets "pur poil de chameau", guêtres, livres même… sont vendus à la criée sur les boulevards toulousains ainsi que des cartes de tombolas, des bijoux et des médailles à Rodez… Toutes les représentations données ces jours bénéficieront à la seule "œuvre de la journée du Poilu".

Journée du poilu, 25 et 26 décembre 1915... : Affiche de Maurice Neumont.
Journée du poilu, 25 et 26 décembre 1915..., Affiche de Maurice Neumont, © Gallica.bnf.fr

Les mêmes sociétés préparent les colis à envoyer pour Noël aux soldats et aux prisonniers. L’acheminement du paquet d’au maximum 1 kg est gratuit s’il est envoyé entre le 25 décembre et le 6 janvier 1916 et il ne peut être expédié qu’un colis par soldat. Ceux confectionnés à Toulouse contiennent chacun 100 g de jambon, 73 g de confiture, une orange, deux pommes, un cigare à 10 cts et un quart de bouteille de vin mousseux. Pour les "indigènes", le jambon est remplacé par 35 cts, le cigare par 2 paquets de cigarettes algériennes et le vin mousseux par 48 g de café et 64 g de sucre. Villefranche envoi 377 colis aux soldats de la commune au front et 33 aux prisonniers de guerre.

Vie municipale
La guerre saigne profondément les communes. Saint-Jean-d’Alcapies (Aveyron) compte 300 habitants. Parmi les 42 soldats mobilisés, dix sont blessés, quatre portés disparus et cinq morts.

La population souffre de plus en plus des pénuries et, à l’entrée de l’hiver, du manque de charbon nécessaire au chauffage. Les problèmes d’approvisionnement de charbon sont tels que Toulouse décide d’en acheter en Angleterre, plus cher, "qui sera mélangé au français pour en atténuer le coût". La Ville propose de le réceptionner et le livrer aux négociants locaux qui le distribueront aux consommateurs à un prix déterminé.

Même lorsque les prix sont réglementés, les habitants se plaignent qu’ils ne soient pas respectés et les professionnels, comme les boulangers toulousains le 30 décembre, protestent car ils les jugent non rémunérateurs. Aussi, les laitiers de Gaillac décident-ils d’augmenter unilatéralement le prix du lait. Les tensions sont ravivées par l’interdiction, à cause du conflit, des réveillons de fin d’année dans les établissements (hôtels, restaurants, cafés, bars, buvettes…).

D’autres prix s’envolent comme celui des volailles car, achetées en grand nombre, elles sont exportées en Espagne, privée de ses fournisseurs habituels (Russie, Hongrie…). Les autorités interdisent dans un premier temps les exportations de volailles vivantes puis à la fin du mois, de celles mortes.

Par ailleurs les collectivités peinent à faire fonctionner les services car nombre d’employés sont mobilisés. Il faut parfois en remplacer quelques-uns comme à Tarbes qui embauche un jardinier (1 300 F l’an) et un cantonnier (1 200 F l’an). Cela engendre une dépense supplémentaire au moment où les familles de mobilisés continuent de toucher leur traitement, les veuves et les orphelins, le demi-traitement ou la pension, et où le nombre d’indigent augmente alors que les recettes baissent et la vie est plus chère.

Aussi, par manque de moyens, des villes s’adaptent-elles : Blagnac réduit le tonnage des véhicules empruntant le pont qui doit subir des travaux. De 5 100 kg, il passe à 4 000 kg pour les véhicules à 2 roues et de 8 400 kg à 6 000 kg pour les véhicules à 4 roues. Le pont est interdit lors du passage d’un lourd chargement ou d’un véhicule tiré par trois chevaux.

Mémoire
Le député Escudier, propose le 22 décembre qu’un "mémorial de la guerre soit réalisé sous forme de recueils". Ils renfermeraient la liste des combattants tombés au champ d’honneur ou ayant été cités. Les deux recueils seraient déposés au Panthéon, les chefs-lieux des départements et d’arrondissements et les archives communales en recevraient des extraits. Les familles des victimes et des bénéficiaires des citations à l’ordre du jour recevront les feuilles individuelles portant la mention "inscrit au Mémorial du Panthéon". Cette proposition préfigure la loi du 25 octobre 1919 "relative à la commémoration et la glorification des morts pour la France au cours de la Grande Guerre".

Enfin, le 29 décembre, la municipalité de Toulouse augmente de 5% les taxes des prix des concessions pour les tombes et de 10 % celles pour les caveaux. Le produit est destiné à l’érection d’un monument commémoratif au cimetière de Terre Cabade.