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La musique et l'Art déco

en France et en Occitanie

L'évolution en France de la musique au tournant du XXe siècle

Au tournant du XXe siècle, lorsque souffle un air de liberté, la musique évolue de façon radicale en parallèle avec les arts visuels, notamment la peinture, ce qui a fait qualifier la musique raffinée de Gabriel Fauré (1845-1924) – originaire de Pamiers – puis celle, tout aussi subtile, de Claude Debussy (1862-1918) ou de Maurice Ravel (1875-1937) d'« impressionniste », qualificatif réducteur que le musicologue André Boucourechliev n'admet que dans la mesure où certaines de leurs compositions expriment la poésie de l'instant dans la couleur et sa mouvance.

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Claude Monet : Soleil couchant sur la Seine à Lavacourt, effet d'ruche, 1880, Petit palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. Boyer Amélie (c) Inventaire général, Région Occitanie

Ce tableau rappelle la célèbre toile de 1872, Impression, soleil levant (Paris, musée Marmottan), dont le titre est à l'origine du terme « impressionnisme ».

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Odilon Redon : Le Jour, l'une des 2 toiles marouflées qui ornent la bibliothèquede l'abbaye de Fontfroide (11). Abriat Natacha (c) Inventaire général, RégionOccitanie

Le peintre symboliste y reprend le thème récurrent du char d'Apollon, mais dans La nuit, parmi une trentaine de figures, il s'est représenté lui-même, ainsi que, sous la figure de feux follets, le compositeur occitan Déodat de Séverac et le pianiste Ricardo Viñes.

Cependant si la peinture impressionniste peut fixer un moment éphémère, la musique se développe dans une continuité temporelle : il serait plus juste de relever la parenté de cette musique avec le courant symboliste, qui s'opposant au naturalisme, exalte l'imaginaire et le rêve : nombre d’œuvres de Debussy font référence à la poésie symboliste, quand il ne la met pas nécessairement en musique de même que Ravel lorsqu'il compose les Trois poèmes de Stéphane Mallarmé. C'est musiciens dits « impressionnistes », développent une nouvelle forme d'expression, où domine une sensualité qui n'est pas sans correspondance avec les courbes sinueuses et voluptueuses arabesques de l'Art nouveau.

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Portrait de Gabriel Fauré (1945-1924). (c) Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris

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Claude Debussy d'après Otto. (c) Gallica, BNF

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Portrait de Maurice Ravel (1875-1937), 1925. (c) Gallica, BNF.

 

Une réaction à cet art qu'on pourrait qualifier, sans être péjoratif, de « féminin » apparaît dès avant la Grande guerre : alors que, dans les années 1900 déjà, le fauvisme en peinture prête la tonalité d'une émotion et d'une sensation à une sorte de polyphonie colorée, les cubistes pour leur part géométrisent les formes, réassemblent en multipliant les points de vue sur l'objet.

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Entre postimpressionnisme et fauvisme : Henri Marre : Rue de Collioure. (c) Musée de Collioure

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Cubisme : Auguste Herbin : Paysage de Céret. (c) Musée de Céret

 

En parallèle, certaines compositions musicales jouent sur des alliances de sonorités nouvelles et des oppositions de timbres plus nettes, voire crues. Ainsi Stravinsky passe-t-il en 1910-1911 du chatoiement orchestral de L'Oiseau de feu à la polytonalité liée à une juxtaposition de rythmes avec Pétrouchka : il opère alors un tournant qui aboutira en 1913 à une œuvre majeure de rupture, Le Sacre du printemps.

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" Trois scènes de Pétrouchka d'Igor Stravinsky : les marionnettes animées du Charlatan, le Maure, la Ballerine (Mme Nijinska) et Pétrouchka " : [photographie] / décor et costumes d'Alexandre Benois, 1922. (c) Gallica, BNF

Existe-t-il une musique "Art déco" ?

À peu près à cette époque, juste avant la Première guerre mondiale, est né en réaction aux formes organiques de l'Art nouveau le « nouveau style », qu'on n'appellera qu'en 1960 « Art déco », et qui prend un réel essor au cours des années 1920 : stylisation colorée d'un décor encore mais rigoureusement conçu sans foisonnement, géométrisation des lignes inspirées du cubisme, retour à une rigueur et une symétrie classique.

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Détail de la porte de style Art nouveau, maison dite « de l'ambassadeur »,Carcassonne. Boyer Amélie (c) Inventaire Général, Région Occitanie

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Détail d'une porte de style Art déco, Tarbes. Boyer Amélie (c) InventaireGénéral, Région Occitanie

Dans la musique française, une tendance similaire de simplification des lignes, de précision et de clarté formelle, voit le jour. C'est peut-être Erik Satie (1866- 1925), musicien et dessinateur, le plus manifestement « Art déco », et fort tôt, comme le prouvent ses Sports et Divertissements composés en 1914, vingt instantanés calligraphiés de la main-même du compositeur, accompagnés chacun d'une gravure pleine page typiquement Art déco, bande dessinée par Charles Martin.
 

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Sports et Divertissements . Musique d'Erik Satie. Dessins de Ch. Martin, [gravés sur cuivres et rehaussés de pochoir par Jules Saudé. Versez du piano. Fac-similé du ms. autogr]. (c) Gallica, BNF

La préface de Satie suggère avec légèreté qu’il existe une possible convergence stylistique entre la musique et les arts visuels : «La partie dessin est figurée par des traits, des traits d’esprit ; la partie musicale est représentée par des points, des points noirs. Ces deux parties forment un tout…. ». Et lorsque, pince-sans-rire, il affirme que c’est un « album » à « feuilleter d’un doigt aimable et souriant… une œuvre de fantaisie », l’ajout de l’impérieux « Que l’on n’y voie pas autre chose. » incite justement à penser que la fantaisie, dans ces courtes pièces très élaborées, est parfaitement contrôlée : l’une des caractéristiques d’un « esprit Art déco ». 

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Erik Satie / [reprod. d'un dessin] d'Alfred Frueh. (c) Gallica, BNF

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Erik Satie / photographie. Delbo, 9, rue Vavin, Paris. (c) Gallica, BNF

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Erik Satie : autoportrait, Projet pour Buste Tombe (1913). (c) Archives Yuri Khanon

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Parade, musique d'Erik Satie (manuscrit autographe) Satie, Erik (1866-1925). (c) Gallica, BNF

C'est surtout dans un « certain » néo-classicisme, réaction à la rencontre des innovations de la première modernité, que s'est exprimé le Retour à l'ordre, mouvement artistique qui s'oppose à l'avant-gardisme, et sur lequel s'appuie en partie l'« esprit Art déco ». Ce courant déjà en faveur depuis le milieu du XVIIIe siècle en peinture et architecture se trouve réactualisé, et la nostalgie d'une musique des époques révolues tente les compositeurs. Il est pictural avec la série des Arlequin de Picasso en 1923 par exemple, ou musical avec Pulcinella (1920) de Stravinsky, et son Œdipus Rex (1927) sur un texte de Cocteau traduit en latin, de même que dans les œuvres tardives de Debussy ou certaines de Ravel. Cependant ce néo-classicisme de l'entre-deux guerres présente une diversité qui défie l'analyse : quels points communs en définitif peuvent-on trouver entre les membres-mêmes du groupe des Six réunis autour de Cocteau et avec le Stravinsky de l'avant-période sérielle, ou entre la Symphonie classique (1917) de Serge Prokofiev et la Sonatine (1903-1905) et le Tombeau de Couperin (1914-1917) de Ravel ?

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Sergei Prokofiev jouant du piano par Hilda Wiener (1877-1940). (c) Sotheby's

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Portrait de Sergueï Prokofiev. (c) Bibliothèque du Congrès.

 

Les musiciens régionalistes du sud de la France entre les deux guerres

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Vue de la rue Déodat de Séverac à Saint-Félix Lauragais. (c) Noé-Dufour Annie, Inventaire général, Région Occitanie

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Déodat de Séverac d'après photographie. (c) Gallica, BNF

Fils d'un ami Joseph Canteloube, né en 1879 en Ardèche d'une mère cévenole et d'un père auvergnat, fondé en 1925 La Bourrée , une filiale de l'Auvergnat de Paris , pour faire connaître le folklore et la beauté de la région. Il publie par ailleurs des recueils de Chants de Haute Auvergne , du Rouergue, du Limousin, du Quercy, mais son œuvre la plus connue reste les Chants d'Auvergne finement orchestrés, tels que ce Lou Baïlerò, qu'il a mis plus de trente et à réaliser.

Canteloube a publié une biographie de son professeur Vincent d'Indy à la Scola Cantorum qu'il avait fondée. Issu d'une famille du Vivarais ardéchois, celui-ci écrit en 1886 une Symphonie sur un chant montagnard français , dite aussi Symphonie cévenole , pour piano et orchestre, inspirée d'une région si chère avait à son cœur qu'il faisait construire à construire la même époque le château de Faugs , où il passera ses étés à partir de 1890.

Cependant D'Indy, comme Liszt avant lui, avait déjà trouvé des sources d'inspiration authentiques lors de ses voyages : Rome, Florence, Venise et Naples sont représentées dans une symphonie composée entre 1869 et 1872, et chacune des valses de Helvetia porte le nom d'un site de la Suisse alémanique. Peut-on, dès lors, affirmer que puiser dans une région, fut-ce la sienne, matière à compositeur implique une adhésion à un mouvement tel que le Retour à l'ordre ?

De fait, chercher dans le foisonnement des créations artistiques en cette première moitié du XXe siècle, à faire des parallèles systématiques tiendrait d'un parti-pris contraire à l'esprit de liberté qui a animé une époque intensément vivante et novatrice.

Crédits :

Texte : Christian Mullier

Conception : Laetitia Pasquier, Amélie Boyer et Christelle Parville, Direction de la Culture et du Patrimoine, Région Occitanie.