Appel à contribution Patrimoines du Sud N°23

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Habiter Fontfroide au XXe siècle : sociabilités, fictions et créations
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Comme la flamme d’une torche tend toujours à s’élever, Fontfroide, le cœur embrasé par l’Art, se dirige toujours vers le but que la Beauté lui indique[1].

Auteur
Richard Burgsthal
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Viticulteur, collectionneur et créateur, Gustave Fayet fut aussi un grand « rêveur de demeures », selon l’expression de Gaston Bachelard[2]. L’historienne de l’art Roseline Bacou, dans la monographie inédite qu’elle consacre à son grand-père, a justement relevé que « toute sa vie il collectionnera des maisons comme des œuvres d’art, et aimera les entourer d’arbres et de fleurs[3]». La carrière de Fayet pourrait se lire au prisme de ses nombreuses demeures, qui reflètent autant de traits de sa personnalité multiples, du berceau familial biterrois (l’hôtel Fayet) aux fiefs viticoles du propriétaire terriens (le domaine de Vedilhan), des « sanctuaires » qui accueillent ses collections d’art moderne (l’appartement de la rue de Bellechasse, le château d’Igny) aux laboratoires de la création que sont le château de la Dragonne (Béziers) et la villa Costebrune (La Garde)[4].

Parmi ces propriétés, l’Abbaye de Fontfroide, acquise le 23 janvier 1908 pour la somme de 49.925 francs[5], se distingue à la fois par son immense valeur patrimoniale et l’engagement de Madeleine Fayet et de son époux pour restaurer, réinventer et faire revivre ce monument cistercien bientôt métamorphosé en cathédrale de « l’art total ». Fontfroide n’est pas uniquement le premier – peut-être le plus ambitieux – chantier décoratif de l’œuvre de Fayet. C’est aussi un lieu de vie, d’inspiration et de création, un foyer familial, amical et spirituel qui occupe un rôle central dans l’œuvre de Fayet et de ses amis « fontfroidiens » : « Qu’elles furent puissantes les fermentations spirituelles durant mes longs séjours à Fontfroide [6]» se confie le nouvel « abbé » des lieux, dans une confession à son biographe René-Louis Doyon.

Abbaye de fontfroide
Abbaye de Fontfroide (c) Inventaire général Région Occitanie

Parallèlement à l’exposition Gustave Fayet à l’Abbaye de Fontfroide. Une symphonie décorative [7], ce numéro de la revue Patrimoine du sud sera justement consacré à un Fontfroide vécu et habité par les principaux acteurs de sa renaissance : « Un endroit impressionnant comme peu le sont. J’y ai ressenti une véritable émotion » se souvient le pianiste Ricardo Viñes en découvrant l’abbaye[8]. Fontfroide est de ces « lieux magiques » qui ne laissent pas indifférent, ni Fayet, sa femme Madeleine et leurs enfants, ni leurs amis Odilon Redon, Richard Burgsthal, Ricardo Viñes ou Déodat de Séverac, ni les chercheurs et artistes qui y séjournent aujourd’hui.

Ce n’est qu’au prisme de ces générations de « fontfroidiens », à travers leurs expériences intimes ou collectives d’un lieu traversé de spectres, de souvenirs et de fantasmes que nous pourrons entrevoir ce « mystère » qui continue d’intriguer les peintres, écrivains et musiciens à Fontfroide. Il s’agit bien de comprendre le pouvoir de transformation qu’exerce cet environnement sur ces artistes qui réinvestissent le patrimoine religieux dans un contexte plus large de laïcisation et de sécularisation. 

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Axe 1 : Les amitiés « fontfroidiennes »
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Salle de musique - abbaye de fontfroide
Salle de musique - abbaye de Fontfroide (c) Inventaire général Région Occitanie
Musique sacrée de Richard Burgsthal (c) Inventaire général Région Occitanie
Musique sacrée de Richard Burgsthal - abbaye de Fontfroide (c) Inventaire général Région Occitanie

Fondu dans le massif des Corbières, à l’abri des regards et des distractions, le site de Fontfroide est particulièrement propice au confinement et au recueillement. Pour une génération baignée de symbolisme, ce cadre élaboré par les cisterciens semble accomplir le fantasme d’isolement qui traverse la littérature artistique au tournant du XIXe siècle[9] : « Fontfroide réalise le rêve éternel de l’humanité : la Beauté dans la Solitude et la Paix[10] » note Rita Strohl, qui partage l’avis de Viñes : « Cet endroit est une espèce de havre de silence et de solitude unique au monde. »

Pourtant, ce n’est pas isolés mais réunis en phalanstère que les hôtes de Gustave et Madeleine Fayet jouissent de cette « solitude », dans un environnement cénaculaire particulièrement propice au resserrement des liens d’amitié : « Fontfroide… Les eaux y sont glacées mais les cœurs y sont de flamme[11] » se souvient Déodat de Séverac ; « Pour de chers souvenirs je garde la douceur du charme harmonieux d’une amitié réelle[12] » ajoute Redon. Cette « communauté sympathique » n’est pas fédérée par un style ou une théorie commune, mais par une même passion pour la musique qui s’exprime plus spécifiquement dans un lieu, conçu à la manière d’une « œuvre d’art totale. » « Fontfroidien », ce sont les mots employés par Fayet dans une lettre à sa fille Yseult où il esquisse à l’encre les visages de Ricardo Viñes, Richard Burgsthal, Rita Strohl, Odilon Redon, Paul Bacou et Déodat de Séverac.

Qui sont les « fontfroidiens » ? Quelle est la nature de leurs réunions amicales et artistiques ? Quelle forme prennent leurs rencontres et leurs séjours dans l’abbaye ? Que reste-t-il des « fontfroidiens » en dehors de Fontfroide ? Ou après la disparition de Gustave Fayet ? C’est à ces questions que les article pourront répondre, dans un axe tourné vers l’étude des sociabilités et des pratiques sociales, qui nourrira la réflexion sur la physionomie des mouvements artistiques[13].

Mots-clés : sociabilités, phalanstère, musique, wagnérisme, groupes artistiques

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Axe 2 : Les fictions fontfroidiennes
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À Fontfroide, l’éloignement géographique est aussi temporel. Loin des contingences de l’actualité, des affaires biterroises et de la vie parisienne, les « fontfroidiens » partagent une conscience diffuse du passé millénaire de l’abbaye : « Quel particulier peut se vanter d’habiter un monastère d’au moins huit siècles et quelque ! Que de souvenirs historiques, et que de mystères exhalent ces pierres ! Cela me paraît incroyable de me trouver dans un pareil endroit, d’y vivre et d’y dormir ! » s’exclame Ricardo Viñes. De son passé cistercien à l’expérience contemporaine de Fayet, Viñes ou Redon, l’abbaye est un véritable palimpseste dont la riche histoire affecte la perception, les gestes et l’attitude de ses résidents.

Cloître - abbaye de Fontfroide
Cloître - abbaye de Fontfroide (c) Inventaire général Région Occitanie

Il s’agit ici de mieux comprendre l’état d’esprit, à la fois ludique et spirituel, qui anime les « fontfroidiens ». Dans leur abbaye, ils échappent au réel pour nourrir un ensemble de fictions intimes ou collectives, des enfants qui « jouent aux fantômes[14] » aux parents qui se laissent séduire par les sciences occultes et, entre eux, se surnomment « abbé », « abbesse », « prieur » ou bien encore « sonneur ». Pendant la première guerre mondiale, le cloître devient une véritable scène de théâtre où l’on se déguise en militaire, à l’antique ou à la japonaise dans autant de « tableaux vivants » dont il subsiste quelques témoignages photographiques. L’environnement fontfroidien peut encore inspirer des romans à clés, de L’Abbesse (1928) d’Henri Duclos au Mystère de Fontfroide de Franck Luginbuhl (2025), et bientôt se transformer en décor de cinéma, de La Couleur du mensonge (1994) d’Hugues de Lagardière à The Last Duel (2020) de Ridley Scott.

salon des « Eaux douces d’Asie » - abbaye de Fontfroide
Salon des "Eaux douces d'Asie" - abbaye de Fontfroide (c) Inventaire général Région Occitanie

En un mot, cette abbaye est un tremplin qui déplace le rapport au temps et au réel dans un ailleurs historique et fictionnel qui suscite jeux, expériences et mises en scène. Cette porosité entre passé et présent, réalité et fiction, est un axe pour mieux comprendre le Fontfroide vécu par ses « acteurs. »

Mots-clés : pratiques sociales, fiction, jeux, spiritualités 

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La création à Fontfroide
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Du projet décoratif orchestré par Gustave Fayet aux plus récentes résidences d’artistes, l’ancien monastère cistercien s’est progressivement mué en atelier, ouvert à la création. Fontfroide, c’est d’abord un défi lancé à Odilon Redon et Richard Burgsthal, auxquels Fayet commande de grands décors, notamment pour la bibliothèque et l’abbatiale. C’est encore dans les « fermentations spirituelles de Fontfroide » que Fayet reprend, vers 1910, le pinceau qu’il avait abandonné dix ans plus tôt. Plus largement, il semble que ce lieu suscite un besoin d’images, même chez les moins « peintres » des fontfroidiens, ainsi qu’en témoigne la fièvre photographique du pianiste Ricardo Viñès ou les élans créatifs fontfroidiens de Paul Bacou, le préfet qui se rêvait sculpteur.

Nuit d'Odilon Redon - bibliothèque de l'abbaye de Fontfroide
Nuit d'Odilon Redon - Bibliothèque de l'abbaye de Fontfroide (c) Inventaire général Région Occitanie

Temple chrétien fondu dans la nature, Fontfroide est le motif romantique par excellence, avec ses ruines en plein air, ses détails romans ou gothiques, ses entrelacements de pierre et de végétation qui irriguent les décors de Redon et inspirent à Fayet de nombreux dessins. L’abbaye ne séduit pas uniquement par son aspect, mais aussi son cadre propice à l’introspection. Entièrement tourné vers l’intériorité du cloître, le monument semble matérialiser dans l’espace architectural cette quête du « centre mystérieux de la pensée[15] » qui anime les artistes au tournant du XXe siècle. Bien plus qu’un simple motif, cet environnement ouvre à Fayet la porte de ces « jardins de la fantaisie[16] » qui fleuriront dans ses aquarelles sur papier buvard et ses tapis.

Cent ans plus tard, l’Abbaye continue d’inspirer les artistes qui y séjournent en résidence (Kim En Joong, Freddy Tsimba, Djabril Boukhenaïssi, etc.) et poursuivent l’héritage de Gustave Fayet, Odilon Redon et Richard Burgsthal. Cet axe sera ainsi consacré à la transformation de Fontfroide en maison des arts qui, des commandes décoratives de Fayet aux artistes contemporains, suscite de nouvelles images et nourrit la création artistique.

Mots-clés : motif, création, inspiration, images

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Modalités de soumission
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Patrimoines du Sud ne publie que des contributions inédites.

Le présent appel à contribution est publié le 1er août 2025. Il s’adresse aux étudiants chercheurs, aux chercheurs, aux professionnels du patrimoine et aux associations. Si l’Abbaye de Fontfroide est l’objet du présent appel à contributions, les approches comparées visant à mettre en perspective le sujet dans la carrière de Fayet, dans son contexte ou dans le temps seront les bienvenues. Les articles du présent numéro de la revue Patrimoines du Sud feront entre 25 000 et 50 000.

Il est à noter que les auteurs peuvent bénéficier de l’aide d’un photographe professionnel et d’une cartographe. Un soin particulier est attendu pour les illustrations (cf. Recommandations aux auteurs).

Les propositions de contribution (titre + résumé de 2 000/3 000 signes) sont attendues pour le 19 septembre 2025. Les auteurs recevront l’avis du comité de rédaction le 10 octobre 2025 au plus tard. Les auteurs dont les propositions ont été retenues devront rendre leur article avant le 10 janvier 2026, délai de rigueur.

Les propositions sont à envoyer à la rédactrice en chef du numéro : pds@laregion.fr

  • Alice de la Taille, conservatrice du patrimoine, Service connaissance et inventaire des patrimoines, région Occitanie.

La revue sera publiée le 1er avril 2026.

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Coordination scientifique
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Le pilotage scientifique de ce numéro est assuré par :

  • Pierre Pinchon, Professeur d’histoire de l’art contemporain, Aix Marseille Université
  • Olivier Schuwer, Responsable coordination générale, programme de recherche de la « Saison du centenaire Gustave Fayet »

Pour toute question : coordination@gustavefayet.fr

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Notes
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[1] Livre d'or de Fontfroide, 18 septembre 1911. Fonds privés Gustave Fayet. 

[2] Gaston Bachelard, La poétique de l'espace [1957], Paris, PUF, collection "Quadrige", 2020.

[3] Roseline Bacou, manuscrit biographique sur Gustave Fayet, Fonds privés Gustave Fayet.

[4] Natacha Abriat, Alix Audurier-Cros, Dominique Ganibenc et al. Gustave Fayet châteaux, vignobles et mécénat en Languedoc. Lyon : Lieux Dits Editions, 2013. 139 p. : ill. ; 21 cm. (Focus Patrimoine ; 3).

[5] Gustave Fayet, Carnets inédits, janvier 1908, Fonds privés Gustave Fayet.

[6] René-Louis Doyon, D’autres couleurs ou les tapis de Gustave Fayet, Paris, à la connaissance, 1924, p. 32.

[7] L’exposition, dont l’ouverture est prévue en mai 2026, sera accompagné d’un catalogue traitant plus spécifiquement du réaménagement décoratif de l’Abbaye de Fontfroide.

[8] Ricardo Viñes, Journal, 3 septembre 1906. 

[9] Sur la figure de l’isolé dans la critique symboliste, voir : Françoise Lucbert, Entre le voir et le dire. La critique d’art des écrivains symbolistes dans la presse en France de 1882 à 1906, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 141.

[10] Livre d’or de Fontfroide, 18 septembre 1911. Fonds privés Gustave Fayet

[11] Ibid, 9 septembre 1910. 

[12] Ibid, 24 septembre 1910.

[13] Anthony Glinoer et Vincent Laisney, L’âge des cénacles, Paris, Fayard, 2013.

[14] « Aussi, la nuit nous allions trainer des chaines sur le dessus du cloitre avec Ari REDON pour jouer au fantôme. » (Journal inédit d’Yseult Fayet, Fonds privés Gustave Fayet).

[15] L'expression est de Paul Gauguin qui écrit : « Les impressionnistes cherchent autour de l'œil et non au centre mystérieux de la pensée » dans "Diverses choses" (repris dans Oviri. Écrits d'un sauvage, Paris, Gallimard, 1989, p. 172).

[16] Gustave Fayet, cité par René-Louis Doyon, op. cit., 1924, p. 33.