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Les calepins d’Anne

Les bienfaits des eaux thermales de Luz-Saint-Sauveur n’étaient pas ce qui intéressait Anne Lister. Si sa compagne était venue pour une cure, Anne, elle, y voyait une nouvelle occasion d’explorer les Pyrénées, ces montagnes audacieuses encore méconnues. Alors, en cet été 1838, une idée quelque peu saugrenue lui était venue…

*Histoire librement inspirée de l’ascension du Vignemale par Anne Lister en 1838, première ascension de ce sommet, qui plus est par une femme. Exploit sportif, tant l’équipement était rudimentaire, et surtout exploit à portée sociale à une époque où les ascensions en montagne étaient l’apanage des hommes. En 1830, elle avait déjà fait l’ascension du Mont Perdu, devenant la première femme à atteindre ce sommet. Ses carnets, retrouvés seulement en 1968, ont permis d’inscrire Anne Lister dans l’histoire du pyrénéisme. Diariste, femme de lettres et exploratrice, elle laisse une œuvre de 24 volumes (carnets) et reste connue avant tout en Angleterre comme étant la première lesbienne moderne, tant sa vie et sa personnalité ont influencé son époque.

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Station thermale de Saint-Sauveur. Thuret Julien (c) Inventaire général Région Occitanie (c) Université de Pau et des Pays de l'Adour

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Etablissement thermal de Saint-Sauveur, par Louis-Julien Jacottet, lithographie, vers 1840 Delpech Viviane (c) Inventaire général Région Occitanie (c) Université de Pau et des Pays de l'Adour

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Il aurait pu poursuivre ses voyages à travers le monde ou s’installer ici, dans le confort d’un grand hôtel, pour profiter de la vue sur la montagne, des soirées qu’il affectionnait où parler des heures durant avec artistes et lettrés… Mais le Vignemale l’avait happé. Hypnotisé. 

Le plus beau, le plus majestueux des sommets pyrénéens. L’amour de sa vie. Alors que la route thermale décidée par l’Empereur reliait les grands bains des Pyrénées, que le train entrait en gare de Bagnères-de-Bigorre pour la première fois en 1862, dans la liesse générale, les tsoin-tsoin de la fanfare, Henry Russell choisit la marche. L’ascension. Le bâton ferré. Le sac en peau dans lequel se glisser, la rudesse du climat montagnard plutôt que l’oisiveté des bains fumants... Fini Asie, Océanie, Himalaya. Les Pyrénées désormais lui suffiraient.

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Accès au cirque de Gavarnie en longeant le gave. Poitou Philippe (c) Inventaire général Région Occitanie (c) Conseil départemental des Hautes-Pyrénées

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Route départementale dite route thermale n°1 au niveau du col d'Aspin au début du 20e siècle. Peiré Jean-François (c) Inventaire général Région Occitanie (c) Conseil départemental des Hautes-Pyrénées

- J’emmène avec moi mes carnets, pour noter mes inspirations, garder une trace de ces fulgurances que m’inspire la montagne : «J’ai couru partout. Quant aux rochers, j’en ai fait ma table, mon oreiller et ma maison». J’ai voulu voir dans la Nature un clavier avec lequel composer ma journée, égrène des sensations telles des notes, vibrer au diapason des éléments. «Quand je m’allonge au grand soleil sur une pelouse à 2000 mètres, j’éprouve un tel plaisir… Et quand je me couche sur le sommet d’un pic, je suis encore bien plus heureux». Si l’eau des thermes soigne et soulage, l’air de la montagne me porte. C’est ma respiration.

- «Cette indéfinissable ivresse morale que donnent la vie nomade et libre, le vent, la mer et les déserts, semble être un privilège des Anglais. C’est une passion même chez les femmes.» Comme cette compatriote, Anne Lister, dont on m’a parlé : tout comme moi, elle avait voyagé et s’était éprise du Vignemale, l’aurait même conquis. J’aimerais retrouver ses calepins disparus, plonger dans ses souvenirs, m’imprégner de son regard sur ce sommet qui est devenu mon rêve, mon temple, mon domaine. 

- Je voulais faire découvrir le Vignemale à tous, que les princes, artistes et savants viennent ici, quittent les salons feutrés des villes thermales et comprennent que la Nature, malgré ses caprices, est bien plus hospitalière qu’on ne l’imagine. Alors, je décidais d’y aménager des grottes, pour y vivre, y dormir, recevoir mes amis. Je prenais du soin à les recevoir pour que cette expérience les marque toute leur vie. «Nous dînions sur des nappes blanches, éclairés par des lampes à pétrole, tandis que le vent hurlait dehors.» J’organisais parfois un concert : au détour d’un sentier, un ensemble polyphonique attendait mes hôtes avec leur chant intense qui faisait vibrer la montagne. Un autre jour, un joueur de hautbois réjouissait leur ascension d’un air mélancolique puis entraînant… Je savais qu’ainsi, ils redescendraient le lendemain, portés par cette montagne, enivrés à jamais de leur voyage aux Pyrénées.

*Les extraits cités sont issus de «Souvenirs d’un montagnard», 1878. Texte librement inspiré des écrits d’Henry Russell.
 

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Cauterets, fin du 19e siècle.
Le pouls de la station bat au rythme trépidant des ascensions aux sommets et des grandes constructions, apaisé seulement par les volutes des bains, odeurs de camphre, eucalyptus, lavande. 

 

 

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Entrée du grand hôtel d'Angleterre, Cauterets (65). Thuret Julien (c) Inventaire général Région Occitanie (c) Université de Pau et des Pays de l'Adour

Dernière folie, l’ouverture du Grand hôtel d’Angleterreavec ses 300 chambres. Ici, rien n’a été laissé au hasard : ascenseur hydraulique, eau courante à tous les étages, chauffage central, salons cossus, écuries, service d’omnibus vers la gare de Pierrefitte… Le thermalisme rime désormais avec modernité.

Tandis que Cauterets, Bagnères, Luchon, Barèges… connaissent une effervescence qui voit pétiller sources sulfureuses naturelles et coupes de champagne, il est un homme qui regarde en arrière. Henri Beraldi a choisi l’une des dernières pensions de famille pour écrire au calme et tenter de terminer le premier volume d’une œuvre monumentale. Depuis des années, il achète et dévore les récits d’explorateurs qui ont parcouru les Pyrénées. Il pense les avoir tous découvert. Il en dresse la liste précise, depuis Ramond de Carbonnières, naturaliste poète qui identifia tant de fleurs nouvelles, jusqu’à Russell, cet anglais excentrique qui popularisa ces montagnes, sans oublier Chausenque, le premier à parcourir toute la chaîne pyrénéenne, à évoquer tant la géologie que les mœurs locales, à dresser des cartes utiles à tous.

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Henri a déjà dressé la liste du contenu des ouvrages qui suivront, tout y est :

- «La connaissance pittoresque des Pyrénées est aujourd’hui complète». Je crois avoir réussi à retracer un siècle d’explorations et de récits, pour rendre hommage à tous ceux qui partageaient une même philosophie : ascensionner, sentir, écrire. Je veux les appeler ici «les Pyrénéistes». Cependant, parmi toutes mes recherches, il est une trouvaille à laquelle mon esprit consciencieux ne cesse de revenir : ce carnet que l’on me porta un jour, à la couverture marbrée, à l’étiquette jaunie, aux lettres penchées d’une écriture disparue... Rédigé par une Anglaise, Anne Lister, il me fut absolument impossible de comprendre de quoi il en retournait, tant le style télégraphique, outrageusement codé, empêchait de le déchiffrer. J’aurais dû tenter de l’acheter alors, pour disposer de plus de temps pour l’étudier. Sans doute quelqu’un, un jour, s’y attellera. Qui sait ce qu’il nous révèlera…

*Texte librement inspiré des écrits de Henri Beraldi.

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Intérieur de la grotte Bellevue du Vignemale, comte Russell. 6 août 1902 (5h du soir). 
(c) Archives départementales de la Haute-Garonne, Fonds Jean Bories, cote 82 FI NEG 66

 

 

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Crédits :

Texte : Stéphanie Brunon, Luth Médiations
Conception, relecture : Christelle Parville et Alice de la Taille, Direction de la Culture et du Patrimoine, Région Occitanie
Graphisme : Gisèle Jacquemet, Luth Médiations